lundi 21 mars 2011

Lenteurs de la Justice : la faute aux magistrats ?

Lenteurs de la Justice : la faute aux magistrats ?
Tefy Andriamanana - Marianne | Lundi 21 Mars 2011 à 12:01 | Lu 2037 fois



La loi fixe des délais précis dans les actes d’une procédure pénale. Pourtant, faute de moyens, les magistrats ne les respectent pas toujours, quitte à faire traîner des dossiers sensibles.





(Dessin : Louison)
Des magistrats peuvent-ils désobéir à la loi ? C’est pourtant le cas dans une affaire de pédophilie détaillée par Mediapart. Dans ce dossier mettant en cause le projet «L'Ecole en Bateau» pour des faits de «viols et agressions sexuelles sur mineurs de quinze ans par personne ayant autorité» commis entre 1979 et 1999, on compte quatorze victimes et cinq mis en examen. La première plainte dans cette affaire a été déposée en 1999. Mais le premier juge d’instruction Albert Cantinol, basé à Fort-de-France, est dessaisi en 2006 par la Chambre criminelle de la Cour de Cassation suite à une requête en suspicion légitime déposée par Me Eric Morain, avocat des parties civiles. Le dossier déménage alors à Paris est instruit par les juges Nathalie Dutartre puis Mylène Huguet.

C’est là que se pose le problème principal. Le 30 mars 2010, la juge Huguet termine son enquête et envoie le dossier au parquet de Paris afin qu’il rende ses réquisitions dans les trois mois. Ce délai est fixé par l’article 175 du Code de procédure pénale, il est réduit à un mois si un mis en examen est en détention préventive, ce qui n’est le cas ici. Le parquet pouvait alors proposer au juge d’envoyer tout le monde au tribunal ou d’aboutir à un non-lieu. Mais, après quatre mois de délai, même si le parquet n'a pas bougé, le juge peut annonçer la clôture définitive de l’enquête, avant de décider s'il y a lieu ou pas à un procès. Le but de ces délais est de permettre que les mis en examen puissent être jugés dans un « délai raisonnable », principe reconnu par le droit français.

Mais, malgré la loi, le parquet de Paris n’a toujours pas rendu ses réquisitions et le dossier est au point mort. Joint par Médiapart, le parquet de Paris s’est justifié : « La section des mineurs a beaucoup de travail, et elle doit régler en priorité les dossiers urgents ». En clair, les dossiers avec des personnes emprisonnées sont mis en haut de la pile, tant pis pour les autres même s’il s’agit de dossiers graves. Mais, contacté par Marianne2, le parquet de Paris a revenu sur ses déclarations à Médiapart : « C’est un dossier complexe, lourd, qui pose des problèmes de droit ». Dans ce cas se pose en effet un problème de prescription des faits. Dans ce cas, la prescription est longue : les atteintes sexuelles sur mineurs peuvent être poursuivies 20 ans après la majorité de la victime. Le parquet de Paris affirme aussi que cette affaire « va être rapidement réglée », sans donner de délai précis.


Inertie du système
Chez le procureur général de Paris, supérieur hiérarchique du procureur tout court, on a la même explication. « On est conscient que c’est long pour les parties civiles », explique-t-on à Marianne2 parlant encore d’un « dossier complexe, long où se posent des questions de prescriptions car les faits sont anciens ». Si le parquet général explique qu’il n’y a « pas de volonté de retarder quoi que ce soit », il confirme que les moyens du parquet ne lui permettent pas toujours de respecter les dates-butoir fixées par la loi : « Objectivement, ce délai ne peut pas être respecté à chaque fois ». Toutefois, le parquet général s'est dit « sensibilisé » au retard pris dans cette affaire et dit en avoir « parlé » avec le parquet de Paris.

Pourtant, ce n’est pas la première fois que le problème de l’inertie des parquets se pose. Une autre affaire retentissante avait également été bloquée de la même façon. Dans l’affaire de Zyed et Bouna (les deux jeunes tués dans un transformateur EDF à Clichy-sous-bois en 2005), il s’était écoulé 14 mois (entre juillet 2009 et septembre 2010) entre la fin de l’instruction et les réquisitions (en faveur d’un non-lieu pour les policiers) du parquet de Bobigny. Là également, le délai requis pour les réquisitions était de trois mois. Cette lenteur avait dénoncée à l’époque par Me Jean-Pierre Mignard, avocat des familles de victimes.

Mais, d'une manière générale, la France n’a pas ou peu été sanctionnée pour la lenteur de sa justice par la la Cour européenne des droits de l’Homme qui évoque aussi cette question du « délai raisonnable ». Dans son article 6-1, la Convention européenne dit en effet que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial (...) ». A ce titre, la France n'a été condamnée qu'une fois en 2010 et que deux fois en 2009, contre 14 et 29 fois pour l’Allemagne, selon le rapport annuel de la Cour. Il est vrai que la jurisprudence de le CEDH a une définition stricte de ce qu’est un « délai raisonnable » prenant notamment en compte « la complexité de l'affaire » pour savoir si le traitement d’un dossier a effectivement pris trop de temps entre le début de l'accusation d'un suspect et la fin de son procès. Cela dit, les délais fixés par le droit français dans les cas cités restent quand même allégrement dépassés.


Parquets surchargés
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Jacques Chirac sera-t-il un prévenu ordinaire ? Et au delà du comportement des magistrats, cette lenteur pose la question des moyens des parquets. En Europe, la France possède les parquets les moins bien dotés mais aussi les plus chargés en dossiers. Selon un rapport du Conseil de l'Europe, en 2008, la France possédait 3 magistrats du Parquet pour 100 000 habitants contre 4,8 en Espagne ou 7,8 en Belgique.

La même année, en moyenne, 2659 dossiers sont arrivés sur le bureau d’un magistrat du Parquet, contre 2048 en Espagne ou 1899 en Autriche. Bien sûr, sont comptées dans ce lot une large part d'affaires simples pouvant être traitées en peu de temps. Il y a aussi des dossiers plus complexes où un juge d'instruction sera amené à intervenir. Mais la réforme envisagée de la procédure pénale confiant aux parquets l’ensemble des enquêtes judiciaires et supprimant les juges d’instruction risque d’aggraver la surcharge du ministère public.

Dans sa jurisprudence, la CEDH a pourtant rappelé l'obligation de moyens des Etats arguant que « l’article 6-1 de la Convention oblige les Etats contractants à organiser leur système judiciaire de telle sorte que les cours et tribunaux puissent remplir chacune de ses exigences, y compris l’obligation de trancher les causes dans des délais raisonnables ». De même, la 3eme chambre du civile du Tribunal de Paris à récemment condamné l'Etat à payer 12 000 euros à une victime de braquage pour préjudice moral estimant que la justice a mis trop de temps à juger ses agresseurs notamment à cause d'un engorgement de la Cour d'assises. « Il revient à l’Etat de fournir à ses agents les moyens humains et matériels pour leur permettre de servir dans des conditions normales, sans pouvoir invoquer sa propre omission pour tenter de s’exonérer de sa responsabilité » a noté le tribunal dans son jugement.

Cette question du tri dans les dossiers judiciaires face aux manque de moyens avait déjà été mis à jour dans l’affaire de Pornic mais concernant les services pénitentiaires d’insertion et de probation. Suite à cet affaire, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Rennes a été débarqué, les syndicats ont alors protesté arguant que le raté du suivi de Tony Meilhon était dû à un problème budgétaire et non à aux fautes d'une seule personne. Faute individuelle ou responsabilité collective, le débat ne concerne pas que les délinquants.

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