Les droits de l'enfant – quatrième partie : protection de l'enfance et jeunes de la rue
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Illustration par Kim Rosen
Par Katherine Covell, Ph. D.
Voici le quatrième article d’une série explorant les droits de l'enfant. Katherine Covell, Ph. D., est professeure en psychologie à la Cape Breton University et directrice générale du Children's Rights Centre.
Nous les avons tous vus dans les rues de notre ville. Certains se blottissent en silence dans les embrasures de portes, alors que d’autres, percés et tatoués, ont l’air rebelles et demandent une aumône lorsque l’on passe près d'eux. Comment en sont-ils arrivés là?
Au Canada, de 70 000 à 85 000 enfants sont pris en charge par l’État;
Depuis 1998, le nombre d’enfants pris en charge a augmenté jusqu'à 65 %;
Un enfant adopté connaît en moyenne sept placements;
50 % des jeunes de la rue étaient autrefois des enfants pris en charge;
82 % des jeunes de la rue à Toronto ont été victimes d’un crime.
Convention relative aux droits de l'enfant
La Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant identifie la famille comme l'endroit idéal pour élever des enfants et demande que du soutien soit offert aux parents afin de les aider avec leurs responsabilités parentales. Cependant, on reconnaît également dans les articles de la Convention que certaines familles sont incapables de prendre soin de leurs enfants convenablement. La Convention est en faveur de retirer les enfants de leur famille biologique et de leur fournir des soins alternatifs lorsqu'il n’est plus dans l’intérêt supérieur de l’enfant de rester dans sa famille biologique (article 20). Dans la majorité des cas, il s’agit d’enfants ayant été victimes de violence ou de négligence.
Le cycle vicieux de l'abus, de l'aide à l'enfance et de modes de vie de la rue. Les enfants peuvent éviter un tel cycle grâce aux interventions d'adultes responsables et très compétents qui assument des rôles de dispensateur de soins, aux succès scolaires et à des emplois significatifs.
Une fois que l’enfant est retiré de sa famille biologique, l’intérêt supérieur de l'enfant doit demeurer une considération primordiale, peu importe l'endroit où il est placé et la façon dont il est traité (article 3). La Convention exige que les enfants ayant été victimes de violence et de négligence reçoivent des services thérapeutiques particuliers afin de favoriser la réadaptation psychologique dans un environnement qui encourage la saine estime de soi et la dignité de l’enfant (article 39). On voit les difficultés du Canada à respecter les obligations de sa Convention dans le nombre grandissant d’enfants dans les agences de protection de l’enfance qui, pendant leur adolescence, vivent et travaillent dans la rue.
Les gouvernements provinciaux et territoriaux ont la responsabilité d'offrir des services aux enfants qui ont besoin de protection. Dans la majorité des cas, ce sont des enfants qui ont été victimes d’un degré assez élevé de violence ou de négligence qui représente une menace pour leur sécurité. On retire donc ces enfants de leur maison, et ils sont placés sous la tutelle du gouvernement. Ce sont maintenant des enfants pris en charge.
Pression envers les organismes de protection de l’enfance
Au cours de la dernière décennie, deux changements sont survenus quant aux politiques et aux pratiques du Canada en matière de protection de l'enfance, qui ont fait en sorte que plus d'enfants ont été pris en charge. Un de ces changements a été d’étoffer la définition d'un enfant ayant besoin de protection pour y inclure les mauvais traitements psychologiques et l’exposition à la violence familiale. Au Canada, les taux en matière de violence familiale sont élevés. On estime qu’un enfant sur 12 est exposé à un certain degré de violence conjugale, verbale ou physique. L’autre changement est que l’on s’éloigne de plus en plus de la priorité qui consiste à essayer de garder la famille réunie en retirant l’enfant lorsqu’il est évident qu’il est victime de violence et de négligence.
Les conditions sociales actuelles ont également mené à une augmentation du nombre d’enfants pris en charge. Au cours de la dernière décennie, la diminution des services sociaux, éducatifs et de santé offerts aux familles a fait augmenter le nombre d’enfants vulnérables exposés à des situations de famille à risques.
L’augmentation du nombre d’enfants pris en charge est impressionnante. L’Ontario, par exemple, a connu une augmentation de 65 % entre 1998 et 2004. En ce moment, on estime qu’il y a environ 85 000 enfants pris en charge au Canada. Le système de protection de l’enfance actuel est incapable de subvenir aux besoins de tous ces enfants.
Lacunes du système de protection de l’enfance
Bien que toutes les provinces et tous les territoires du Canada aient des organismes de protection de l’enfance, les ressources qui leur sont offertes n’ont pas suivi le rythme de l’augmentation du nombre d'enfants pris en charge. Ainsi, bien des enfants dont les droits ont été violés dans des conditions qui ont fait en sorte qu'ils soient retirés de leur famille souffrent encore de violations des droits dans le cadre de leurs soins.
Un des problèmes est que la moyenne d’âge à laquelle les enfants sont pris en charge est de huit ans. Cet âge se situe bien après la période critique favorisant le bon développement du cerveau, plus particulièrement le développement des procédés neuronaux sous-jacents du contrôle des impulsions, de l’empathie et de l’attachement sécurisant. Au moment du retrait du foyer où il y a violence, bien des enfants présentent les troubles émotionnels ou comportementaux associés à un trouble d’attachement, à l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation fœtale, à des troubles d’apprentissage et à un trouble d'hyperactivité avec déficit de l'attention. Un des problèmes particuliers que ces enfants ont en commun est la difficulté à faire confiance à ceux qui les entourent.
Confiance et attachement
Lorsqu’ils sont pris en charge, les enfants ont besoin de nombreux soins afin de les aider à surmonter les difficultés associées aux raisons de leur retrait, et ils ont besoin de stabilité pour pouvoir développer des relations de confiance avec les adultes. Le système actuel n’offre pas de soutien ou de formation appropriée aux parents de famille d’accueil; il n’offre pas non plus suffisamment de services thérapeutiques dont les enfants ont besoin et auxquels ils ont droit. Il est donc difficile d’offrir des placements stables aux enfants. Les enfants qui font très peu confiance aux gens sont difficiles à socialiser; ils peuvent se révéler particulièrement difficiles pour les parents de famille d’accueil qui manquent de formation spécialisée. Souvent, les enfants pris en charge se retrouvent dans de multiples placements puisque les travailleurs sociaux essaient de leur trouver une maison qui leur convient. Un enfant connaît en moyenne sept placements; d'autres en connaissent beaucoup plus. Certains enfants ont connu jusqu'à 31 familles d'accueil différentes. Chaque déménagement s’ajoute au problème de confiance de l’enfant et aux troubles psychologiques et comportementaux. Il devient de plus en plus difficile de prendre soin de l’enfant.
Pourquoi Jeffrey Baldwin, cinq ans, est-il mort?
Un des problèmes associés à cela est qu’il n’y a pas suffisamment de foyers d’accueil pour le nombre d’enfants pris en charge. De nombreux enfants vulnérables aboutissent dans des institutions ou des soins de jour en groupe, et d’autres en placement chez un membre de la famille. En effet, le placement chez un membre de la famille est l'option la plus rapide et de plus en plus utilisée pour les enfants qui ont besoin de protection. Malheureusement, cependant, les évaluations ne sont pas toujours effectuées chez les membres de la famille comme elles le sont pour les parents de famille d’accueil qui ne sont pas des membres de la famille. Le danger que présente cette option a été souligné en 2002 avec la mort de Jeffrey Baldwin, cinq ans. Jeffrey a été retiré des soins de sa mère et placé chez ses grands parents, car il avait besoin de protection. Cependant, ses grands-parents avaient déjà été condamnés pour violence faite aux enfants – les faits étant au dossier, mais ces faits ont été ignorés, et Jeffrey est mort des suites de négligence grave.
Sortir du système
Une violation particulièrement grave des droits des enfants pris en charge est l’âge limite arbitraire auquel ils doivent quitter le système de protection de l'enfance et vivre de façon autonome. Dans sept provinces ou territoires (Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve-et-Labrador, Territoires du Nord-Ouest, Nouvelle-Écosse, Nunavut, Ontario, Saskatchewan), l’âge pour quitter le système de soins est de 16 ans. En Colombie Britannique, il est de 19 ans et partout ailleurs, il est de 18 ans. Envisagez la transition vers l’indépendance de l’adolescent typique. Il est difficile d’imaginer renoncer à la responsabilité parentale lorsque l’enfant atteint l’âge de 16 ans, ou même l’âge de 19 ans. Le système de protection de l’enfance ne tient pas compte du degré de maturité, des besoins en matière d'éducation, de l'état de santé, des aptitudes à la vie quotidienne, des systèmes de soutien ou de toutes autres ressources matérielles ou émotionnelles de l’enfant essentielles pour vivre de façon autonome. Comment ces jeunes personnes s’en sortent elles lorsqu'elles atteignent l'âge de sortir du système? Nombre d'entre eux se retrouvent dans la rue.
Qui sont les jeunes de la rue?
Au Canada, plus de la moitié des jeunes de la rue sont des enfants anciennement pris en charge. À quelques exceptions près, les autres sont des adolescents qui se sont enfuis ou qui ont été mis à la porte de leur foyer, ou qui ont été victimes de violence ou de négligence de la part de leurs parents sur le plan physique, sexuel ou émotionnel. Avec un manque de soutien familial ou social, de ressources financières, d'aptitudes professionnelles et d'éducation, et le fait de porter les cicatrices des abus de leur enfance, les jeunes de la rue sont vulnérables face aux stratégies de survie qui les mettent à risque d’autres violations des droits. Pour subvenir à leurs besoins, de nombreux jeunes de la rue se mettent à mendier, à vendre de la drogue, à voler, à se prostituer ou à offrir des services sexuels en échange de nourriture ou d'un abri (prostitution de survie). Pour avoir de la compagnie, du soutien et être sous la tutelle de quelqu’un pour survivre à la vie dans la rue, certains se joignent à des gangs. Toutes ces activités font en sorte que l’enfant risque de tomber dans la criminalité. Elles augmentent également le risque d’une éventuelle victimisation. Dans une étude menée à Toronto, 82 % des jeunes de la rue ont rapporté avoir été victimes d'un crime, la plupart du temps impliquant de la violence physique ou une agression sexuelle. Il n’est pas surprenant que ces jeunes personnes présentent des taux élevés de dépression, d’abus de substance et de grossesse. Il n’est pas surprenant non plus que nombre d'entre eux passent d'enfants pris en charge, à jeunes de la rue, à jeunes impliqués dans le système de justice pénale.
Une approche fondée sur les droits appelée à changer
La logique en ce qui concerne les droits de l'enfant exige des changements fondamentaux dans le système de protection de l'enfance. Un pays ayant ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant ne peut pas accepter des pratiques qui perpétuent la violation des droits des enfants. Des recherches mettent en évidence les changements nécessaires. Dans le but d’essayer de diminuer la vague d’enfants pris en charge, nous pouvons établir beaucoup plus de programmes de soutien et de mentorat pour les parents qui risquent d’abuser leurs enfants. On compte parmi ceux-ci les parents souffrant de troubles mentaux ou de troubles associés à l’abus de substances, et ceux qui sont isolés socialement. On compte également les nombreux jeunes de la rue qui ont eux aussi des bébés et qui répètent un cycle intergénérationnel d’enfants défavorisés et marginalisés.
Lorsque l’on retire des enfants de leur maison, on devrait procéder de manière à déranger le moins possible le bien être psychologique de l’enfant, et tous les enfants devraient se retrouver dans des milieux thérapeutiques stables avec des parents substituts bien formés et bien sélectionnés. Les déménagements devraient être minimes. Nous savons que plus un enfant connaît de placements, plus il est probable que l'enfant se retrouve sans abri et impliqué dans le système de justice pénale. La stabilité est nécessaire pour aider l’enfant à surmonter les mauvais traitements qu’il a subis et pour former un nouvel attachement qui favorise sa santé mentale et son estime de soi.
Toutes les provinces et tous les territoires du Canada devraient accepter leurs obligations légales selon la Convention relative aux droits de l’enfant et maintenir la pleine responsabilité des enfants pris en charge jusqu'à l'âge d’au moins 18 ans. Il serait donc bénéfique de permettre à l’enfant une transition graduelle vers l'indépendance en lui offrant des occasions d'apprendre les aptitudes à la vie quotidienne, d’explorer les possibilités de carrière et de terminer son éducation. Une nation qui respecte les droits n’accepte pas le fait qu’une certaine partie de ses enfants passeront leur vie à graduer du système de protection de l'enfance, au système de justice pour les jeunes, au système de justice pénale pour adultes. Une nation qui respecte les droits ne laisse pas ses membres les plus vulnérables aux hasards de la charité et des dangers de la rue.
5/18/2010
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