COMPRENDRE LA POLEMIQUE AUTOUR DU DEFENSEUR DES DROITS
Cinq questions pour comprendre la polémique autour du Défenseur des droits, projet de loi discuté ce mardi à l'Assemblée.
Source : Rue 89
Nicolas Sarkozy n'ayant pas encore démontré son amour des contre-pouvoirs -c'est le moins qu'on puisse dire [2]-, il est naturel que le projet de loi créant un Défenseur des droits, comme prévu par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 [3], soit accueilli avec un grand scepticisme.
Il est discuté ce mardi à l'Assemblée nationale, après avoir été voté en première lecture par le Sénat en juin dernier.
« Vers un Défenseur des droits dans le mur » titre Libération [4], pendant que Geneviève Garrigos, présidente d'Amnesty international France, dans Le Monde [5], soupçonne le gouvernement de vouloir instaurer « un Défenseur des droits au rabais ». « Adopté en l'état, le projet de loi organique […] marquerait un recul important pour le respect et la protection des droits humains en France » écrit-elle.
De quoi s'agit-il et pourquoi ces critiques ?
Pourquoi Sarkozy a engagé une telle réforme ?
Une autorité indépendante unique et aux pouvoirs étendus sera plus efficace que cinq institutions travaillant chacune de leur côté : c'est la justification de cette réforme voulue par Nicolas Sarkozy.
La réforme crée donc un méga-défenseur des victimes, le Défenseur des droits. Il devra à la fois s'occuper des abus de l'administration, des bavures policières, des droits des enfants, de la lutte contre les discriminations mais aussi de l'état des prisons. Il remplacera en effet cinq institutions existantes :
•le Médiateur de la République ;
•la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) ;
•le Défenseur des enfants ;
•la Halde [6] ;
•le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Pour le gouvernement, c'est donc une mesure de bon sens : l'objectif essentiel de ces cinq autorités étant le même -défendre le citoyen face aux pouvoirs- et leurs outils étant aussi les mêmes, autant mutualiser leurs moyens et instaurer un contre-pouvoir clairement identifiable par les citoyens.
Derrière cet argument, les compétences du Défenseur des droits ont pourtant beaucoup varié depuis la présentation du projet initial :
•au départ, il ne s'agissait que de réunir le Médiateur de la République, la CNDS et le Défenseur des enfants ;
•le Sénat y a ajouté la Halde ;
•lorsqu'elle a examiné la réforme, la commission des lois de l'Assemblée nationale y a aussi ajouté le contrôle des prisons, mais le Défenseur des droits ne récupérerait cette fonction qu'en 2014, à la fin du mandat de l'actuel contrôleur.
D'autres contre-pouvoirs, enfin, ne sont pas concernés par cette réforme : par exemple, la Commission d'accès aux documents administratifs.
Pourquoi cette réforme est-elle présentée comme dangereuse ?
L'idée de se doter d'un Défenseur des droits plus puissant que chacune des cinq autorités qu'il remplace, et que tout citoyen pourrait saisir, n'est pas forcément une mauvaise idée. Encore faut-il qu'il remplisse deux conditions, être indépendant et avoir des pouvoirs. Or, tout indique que le projet ne va pas dans cette direction-là.
► Indépendance
Le Défenseur des droits, autorité indépendante, ne reçoit évidemment « aucune instruction », dit le texte. Mais il est nommé en Conseil des ministres, donc par le président de la République.
En Espagne, le Defensor del Pueblo est élu par le Parlement à la majorité des trois cinquièmes… En France, c'est l'inverse : le Parlement peut seulement bloquer la nomination, par trois cinquièmes des voix au sein de la Commission permanente de chaque Assemblée… Une procédure dessinée pour être inutilisable (voir la partie cinq, plus bas).
► Pouvoirs
Le Défenseur des droits se substitue à cinq autorités qui, ensemble, traitent près de 100 000 dossiers par an. Une charge énorme qu'il ne pourra traiter de façon responsable que s'il est entouré d'adjoints qui ne soient pas que des exécutants.
Or, nul pouvoir n'est conféré à ceux-ci, aucune compétence ne leur est déléguée. Et les « collèges » qui sont prévus pour aider le Défenseur n'ont qu'un rôle purement consultatif et sont très loin des sections indépendantes que l'on trouve dans des juridictions comme le Conseil d'Etat.
Les autorités qui disparaissent étaient-elles indépendantes ?
Officiellement, bien sûr, il s'agit d'« autorités administratives indépendantes » [7]. Nommées par décret en Conseil des ministres pour un mandat généralement non renouvelable, les personnalités occupant ces postes pouvaient critiquer entreprises ou institutions ne respectant pas les textes de loi dans leur champ de compétence. Mais ne possédaient aucun pouvoir d'injonction.
La Commission nationale de déontologie de la sécurité ne pouvait être saisie que par le biais d'un parlementaire, tout comme le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui pouvait aussi s'autosaisir.
La Halde, le Médiateur et le Défenseur des enfants pouvaient être saisis directement par les citoyens. « Environ 10% des saisines étaient effectuées par des enfants seuls », explique Claire Brisset, première Défenseure des enfants de 2000 à 2006 (la dernière sera son successeur Dominique Versini) :
« Avec le Défenseur des droits, ça risque d'être plus difficile pour eux de le faire, si toutefois ils sont au courant de cette fonction… »
« D'une manière générale », Claire Brisset a senti que son autorité et son indépendance étaient respectées, même quand elle critiquait les premiers placements d'enfants en zone de rétention. Seul accrochage, avec les présidents de conseils généraux sur sa critique de l'aide sociale à l'enfance : « Ils ont menacé de me couper mon budget », raconte-t-elle.
La limite de ces institutions dotées d'un double pouvoir de critique et de proposition résidait dans la manière dont l'exécutif les traitait : ainsi, alors que la loi prévoit que le président de la République reçoive la Défenseure des enfants le 20 novembre et qu'elle lui remette un rapport, Nicolas Sarkozy n'a jamais reçu Dominique Versini.
Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République de 2004 à 2010 et ex-candidat au poste de Défenseur des droits (il préside désormais le Conseil économique et social), est favorable à cette réforme :
« On a quelquefois cherché à m'instrumentaliser, des lobbies, de grands cabinets d'avocats… Mais j'ai toujours été indépendant. »
Pour lui, la création du « DDD » pourra renforcer l'indépendance de la médiation en France :
« Ce n'est pas un texte qui fait la qualité d'une institution, mais la manière dont on la gère. »
Comment ça se passe ailleurs ?
En regroupant les autorités indépendantes dans une structure élevée au rang constitutionnel, la France rejoint quelques Etats membres de l'Union européenne : le Defensor del pueblo espagnol, les Ombudsmen suédois et finlandais ou encore le Provedor de justiça portugais.
Dans son rapport rendu en 2007, le comité Balladur préconisait clairement la mise en place d'un Défenseur qui se substituerait « à l'ensemble des autorités indépendantes qui œuvrent dans le champ de la protection des libertés », en s'inspirant du « succès rencontré en Espagne par le Défenseur du peuple mentionné à l'article 54 de la Constitution ».
Un cas particulier, puisque dans la Constitution espagnole de 1978, le Défenseur du peuple avait été créé pour faire face à une administration encore sous l'influence du franquisme.
D'autres pays ont créé des structures similaires au niveau législatif qui prennent la forme de commissions, comme la Grèce, l'Italie ou le Canada.
A noter que la république hellénique possède également un Avocat du citoyen, élevé au rang constitutionnel. « La tendance est à la constitutionnalisation », explique Jean-Marie Pontier, professeur de droit public à la Sorbonne.
La Défenseure des enfants Dominique Versini regrette que l'exception française porte sur l'absence de structure « à part » pour la défense des enfants :
« Même la Grèce qui n'a délégué qu'un adjoint s'en sort mieux. Il a des compétences très précises prévues par la loi. Ce n'est pas un collaborateur lambda, comme ce qui est prévu par la réforme française. »
Qui sera à la tête de cette nouvelle autorité ?
S'il est trop tôt pour savoir qui présidera cette autorité, on a parlé de Bernard Kouchner [8] et de Jack Lang. Françoise de Panafieu a fait savoir [9] à Nicolas Sarkozy qu'elle était intéressée par le poste.
Le mode de nomination ne change pas : le Médiateur de la République, le président de la CNDS, le Défenseur des enfants, le président de la Halde et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ont tous été nommés par le président de la République.
Le nom du Défenseur sera également proposé par le président de la République [10] en Conseil des ministres. Il est donc nommé par le Président pour six ans.
Pour garantir l'indépendance de l'institution, le Défenseur ne pourra pas cumuler sa fonction avec un mandat électif et/ou une activité professionnelle. Il est inamovible, ne « reçoit d'instruction d'aucune autorité » et bénéficie du même régime d'immunité juridictionnelle que les membres du Parlement.
Ce mode de nomination a été contesté par la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) dans un avis du 4 février 2010 [11]. Catherine Teitgen-Colly, membre de la CNCDH, explique :
« Par rapport aux institutions existantes, le Défenseur a autorité sur toutes les autres ; c'est pourquoi il aurait fallu des garanties supplémentaires dans son mode de nomination. D'autant que les “adjoints”, chargés des autorités (Halde, CNDS…), sont nommés par le Premier ministre sur proposition du Défenseur lui-même. Autrement dit, si le Défenseur est sous ordre du politique -ce qui peut arriver-, ça pose problème. »
Geneviève Garrigos, présidente d'Amnesty International France, souligne elle aussi le risque de dérives, y compris en admettant que la nomination du prochain Défenseur ne soit pas un choix politique :
« On ne crée pas une institution pour une personne mais on fait en sorte qu'elle fonctionne quelle que soit la personne à sa tête. »
François Krug, Nolwenn Le Blevennec, Pascal Riché, Augustin Scalbert et Zineb Dryef
Photo : la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1989, peinture de Jean-Jacques François Le Barbier, de 1789.
Le Défenseur des droits : un ombudsman en trompe-l'œil Note, sur TerraNova.fr [12]
Le gouvernement veut-il instaurer un défenseur des droits au rabais ? sur LeMonde.fr [5
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