mercredi 20 juin 2012

L'application des principes du procès équitable à une procédure disciplinaire

L'application des principes du procès équitable à une procédure disciplinaire



L’exigence d’un procès équitable implique qu’en matière disciplinaire la personne poursuivie ou son avocat soit entendu à l’audience et puisse avoir la parole en dernier, et que mention en soit faite dans la décision.



Dans cet arrêt rendu au visa de l’article 6 § 1er de la Convention européenne des droits de l’homme, la première chambre civile de la Cour de cassation veille à ce que l’adage populaire selon lequel le cordonnier est le plus mal chaussé ne se vérifie pas en matière de procès équitable. En effet, le demandeur au pourvoi est un avocat poursuivi dans le cadre d’une procédure disciplinaire, qui invoque une atteinte à ses droits de la défense.
En l’espèce, il avait été condamné à la plus lourde sanction pouvant être prononcée par le Conseil de discipline des barreaux, la radiation, qui implique l’interdiction définitive de l’exercice de la profession d’avocat tant dans le barreau d’origine que dans tout autre barreau. Cette peine intervient à la suite d’une procédure disciplinaire engagée pour une série de manquements graves de nature à discréditer la profession d’avocat commis par le demandeur au pourvoi (manquements à l’obligation de délicatesse, de loyauté et de probité, à l’obligation de diligence et de dévouement dans certains dossiers etc.). Le requérant reproche notamment à l’arrêt confirmatif rendu par la cour d’appel de Lyon, d’avoir prononcé la radiation sans qu’il ressorte de ses mentions que celui-ci ait pu prendre la parole en dernier.
La Cour de cassation accueille ses arguments en jugeant que « l’exigence d’un procès équitable implique qu’en matière disciplinaire la personne poursuivie ou son avocat soit entendu à l’audience et puisse avoir la parole en dernier, et que mention en soit faite dans la décision ». Si l’ordre d’audition des parties a pu susciter quelques hésitations (v. Civ. 1re, 9 juill. 1996), l’arrêt du 16 mai 2012 apporte ici une solution claire et sans équivoque : la personne poursuivie doit par principe être entendue en dernier, qu’elle ait ou non revendiqué ce droit devant la haute juridiction et qu’il existe ou non des dispositions spéciales en la matière (déjà : Civ. 1re, 25 févr. 2010).
Cette application des règles du procès équitable en matière disciplinaire n’est pas surprenante dans la mesure où la mesure où la Cour européenne des droits de l’homme retient une conception très large du « procès » et juge, depuis l’arrêt Le compte Van Leuven et De Meyer c. Belgique du 23 juin 1981 qu’ « une procédure disciplinaire, à l’issue de laquelle le droit de continuer une profession est mis en jeu, entre dans le champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention ». Pourtant, la transposition des principes du procès équitable à ce type de procédure ne va pas de soi. En effet, le droit disciplinaire s’applique aux membres d’un même groupe pour réprimer, par des sanctions préalablement déterminées, des manquements à la discipline. Il s’agit donc d’une réglementation autonome, en quelque sorte privée, nécessairement spécifique et circonstanciée. Ainsi, la Cour de cassation n’applique pas l’article 6 § 1er Conv. EDH à toutes les procédures disciplinaires. Elle refuse, par exemple, l’application des règles du procès équitable à l’organe disciplinaire d’un établissement d’enseignement privé et juge donc que la décision d’exclusion d’un élève de cet établissement ne porte pas un trouble manifestement illicite aux principes du droit disciplinaire (Civ. 1re, 11 mars 2010).
Le droit disciplinaire renvoyant à un modèle procédural autonome empêche une transposition pure et simple des règles du procès équitable. L’arrêt commenté l’illustre parfaitement : le requérant tente d’invoquer la violation du principe non bis in idem (en effet, il affirme avoir déjà fait l’objet de sanction disciplinaire pour les mêmes faits). , En vain : son argument est rejeté par la Cour, laquelle se livre davantage à une appréciation d’ensemble de la procédure qu’à une vérification méticuleuse de chaque composante du procès équitable. Ceci, permet à la Cour d’éviter l’écueil qui la guette à savoir un excès de formalisme, que regrettait Jean-Paul Costa dans une opinion dissidente à l’occasion d’une affaire similaire (CEDH 18 févr. 2010, Baccichetti c. France). Un tel excès, en dépit de la pertinence de principe d’une solution respectueuse à tous crins des règles du procès équitable, pourrait compromettre l’efficacité des procédures disciplinaires et nier leur spécificité.
Civ. 1re, 16 mai 2012, n° 11-17.683, FS - P+B+I
Références
Article 6 § 1er de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit à un procès équitable
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »
Civ. 1re, 9 juill. 1996, Bull. civ. I, n° 301.
Civ. 1re, 25 févr. 2010, n°09-11.180.
Civ. 1re, 11 mars 2010 n°09-12.453.

Auteur : C. d. B.

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