mardi 6 décembre 2011

DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE ET FAMILIALE




L’Europe des Libertés, Revue d’actualité juridique, N°26, pp. 40-43 www.leuropedeslibertes.u-strasbg.fr
DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE ET FAMILIALE
COUREDH, Hadri-Vionnet c. Suisse, 14 FÉVRIER 2008
Mots clés : Ingérence disproportionnée, Droit d’assister à
l’enterrement de son enfant
La requérante, une ressortissante
algérienne, donna naissance, le 4 avril
1997, à un enfant mort-né dans un foyer
pour demandeurs d’asile en Suisse.
Lorsque la question leur fut posée par la
sage-femme, l’intéressée et le père de
l’enfant, sous le choc, affirmèrent qu’ils ne
souhaitaient pas voir le corps de l’enfant.
Après avoir subi une autopsie, celui-ci fut
transporté dans une camionnette de
livraison au cimetière pour y être enterré
dans la fosse commune des enfants mortnés,
sans cérémonie et en l’absence de ses
parents. L’assistant social et l’officier
d’état-civil prirent notamment en compte le
fait que les parents n’avaient pas exprimé
le souhait de voir le corps avant son
autopsie et estimèrent que, compte tenu de
son état psychique, la requérante n’était
pas en mesure d’assister à son inhumation.
La requérante se plaignait devant la Cour
de ne pas avoir pu assister à l’enterrement
de son enfant mort-né et que son cadavre
ait été transporté « comme un vulgaire
déchet » (§ 43) dans un véhicule
inapproprié. Fidèle à ses jurisprudences
Pannullo et Forte c. France (no 37794/97,
§ 36, CEDH 2001-X) Elli Poluhas Dödsbo
c. Suède (no 61564/00, § 24, CEDH
2006-...), la Cour considère que l'article 8
est applicable au cas d’espèce, ce que ne
contestait d’ailleurs pas le gouvernement
suisse. Après avoir souligné « qu’elle n’a
nullement l’intention de mettre en doute la
bonne foi de l’agent chargé d’ordonner le
transport et l’enterrement du corps de
l’enfant » (§ 54), la Cour rappelle « que
l'acquittement au pénal d'un fonctionnaire
ne dégage pas nécessairement un Etat de
ses obligations en vertu de la Convention »
(§ 55). De surcroît, l’absence d’intention
ou de mauvaise foi des agents communaux
responsables ne libère aucunement la
Suisse de sa propre responsabilité
internationale au titre de la Convention.
Par conséquent, le juge européen estime
que l’enterrement aussi bien que le
transport du corps s’analysent en une
ingérence dans le droit de la requérante au
respect de sa vie privée et familiale.
Quant à la question de savoir si une telle
ingérence était « prévue par la loi », la
Cour décèle une contradiction entre un
texte législatif clair et la pratique suivie
dans le cas de la requérante. En effet, le
juge de Strasbourg constate que
« contrairement à ce que prescrit l'article
8 alinéa 4 du règlement sur le cimetière et
les pompes funèbres de la commune de
Buchs, l'officier d'état civil a procédé à
l'enterrement sans avoir consulté les
proches » (§ 59). Par ailleurs, « en
contradiction avec le libellé clair de
l'article 12 alinéa 1 du même règlement,
l'inhumation n'a pas été organisée par les
proches » (Ibid). Enfin, s’agissant du
transport de la dépouille de l’enfant, la
Cour rappelle que le tribunal supérieur du
canton d’Argovie a admis – sans que le
Tribunal fédéral remette en cause ce
constat – que le transport était intervenu
« en méconnaissance de l'article 75 alinéa
1 de l'ordonnance sur la circulation
routière, aucune autorisation au sens de
l'alinéa 2 de cette disposition n'ayant été
donnée » (§ 60). Le juge européen conclut
donc à la violation de l’article 8 au motif
que les ingérences dans le droit au respect
de la vie privée et familiale de la
requérante étaient dépourvues de base
légale.
COUREDH, CHTOUKATOUROV C. RUSSIE, 27
MARS 2008
Mise sous tutelle, Vie privée, Ingérence
Samuel Marchesseau
L’Europe des Libertés, Revue d’actualité juridique, N°26, pp. 40-43 www.leuropedeslibertes.u-strasbg.fr
disproportionnée, Garanties
procédurales
En l’espèce, le requérant, M.
Chtoukatourov, a été officiellement déclaré
handicapé, en 2003, en raison de ses
antécédents psychiatriques. La mère du
requérant parvint à le priver de sa capacité
juridique à la suite du jugement - expéditif
- d’un tribunal de district en date du 28
décembre 2004, sans que le principal
intéressé en soit tenu informé. Après avoir
découvert une copie du jugement au
domicile de sa mère, M. Chtoukatourov
prit contact avec un avocat, M. Bartenev,
du Centre de défense des déficients
mentaux pour discuter de l’affaire et
rédiger un recours. À cette occasion, M.
Bartenev, par ailleurs détenteur d’un
diplôme de médecine, considéra que le
requérant était parfaitement en mesure de
comprendre des questions juridiques
complexes et de donner des instructions
pertinentes : « According to the lawyer,
who holds a degree in medicine from the
Petrozavodsk State University, during the
meeting the applicant was in an adequate
state of mind and was fully able to
understand complex legal issues and give
relevant instructions » (§ 20). Mais étant
devenue sa tutrice légale, la mère du
requérant le fit interner dans un hôpital
psychiatrique, le 4 novembre 2005. À
compter de décembre 2005, M.
Chtoukatourov fut dans l’incapacité de
rencontrer son avocat et se vit refuser tout
contact avec le monde extérieur. Le
requérant parvint toutefois à faire parvenir
à son avocat un formulaire l’autorisant à
déposer une requête à la Cour européenne
en son nom. M. Bartenev exerça plusieurs
recours auprès des autorités compétentes
afin que le requérant puisse sortir de
l’hôpital et fit appel du jugement du 28
décembre 2004, en vain. Une mesure
provisoire, invitant le gouvernement russe
à fournir le temps et les facilités
nécessaires au requérant et à son avocat
pour se rencontrer et préparer leur requête
devant la Cour, fut même adoptée, sans
succès.
Le requérant se plaignait notamment
d’avoir été privé de sa capacité juridique à
son insu et d’avoir été interné dans un
établissement psychiatrique par sa mère
afin que celle-ci puisse revendiquer la
propriété des biens qu’il avait hérités de sa
grand-mère. En premier lieu, la Cour
relève que l’ingérence dans la vie privée du
requérant a été considérable puisqu’elle a
eu pour résultat de le rendre entièrement
dépendant de son tuteur officiel dans la
plupart des aspects de la vie, et ce pour une
durée indéfinie. De plus, cette ingérence ne
pouvait être contestée que par
l’intermédiaire de sa tutrice, qui s’est
opposée à toute initiative visant à l’arrêt de
la mesure.
En second lieu, le juge de Strasbourg
rappelle qu’il a déjà constaté que le
jugement du tribunal de district du 28
décembre 2004, ayant privé le requérant de
sa capacité juridique, a été entaché de vices
de procédure. Sur ce point, la Cour déplore
tout particulièrement le fait que l’affaire ait
été tranchée à l’issue d’une seule audience
qui n’a de surcroît duré que dix minutes :
« The Court is particularly struck by the
fact that the only hearing on the merits in
the applicant’s case lasted ten minutes. In
such circumstances it cannot be said that
the judge had “had the benefit of direct
contact with the persons concerned”,
which normally would call for judicial
restraint on the part of this Court » (§ 91).
En dernier lieu, le juge européen considère
que le tribunal de district a insuffisamment
motivé sa décision et regrette qu’il ait
fondé son jugement sur un rapport médical
qui n’a pas analysé suffisamment en
profondeur le degré d’incapacité du
requérant. En effet, ce rapport n’a pas
envisagé les conséquences de la maladie de
M. Chtoukatourov sur sa vie sociale, sa
santé et ses intérêts financiers, ni analysé
en quoi exactement il n’était pas en mesure
de comprendre ou contrôler ses actes. Par
ailleurs, il s’avère que la législation russe
ne connaît que la capacité totale et
l’incapacité totale des aliénés, sans
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qu’aucune situation intermédiaire ne soit
envisagée. La Cour renvoie notamment à la
recommandation du Comité des Ministres
du Conseil de l’Europe, laquelle énonce un
ensemble de principes relatifs à la
protection juridique des majeurs
incapables, où elle recommande que la
législation soit plus souple et prévoie une
réponse individualisée pour chaque cas
particulier : « Although these principles
have no force of law for this Court, they
may define a common European standard
in this area. Contrary to these principles,
Russian legislation did not provide for a
“tailor-made response”. As a result, in the
circumstances the applicant’s rights under
Article 8 were limited more than strictly
necessary » (§ 95).
Par conséquent, la Cour conclut à la
violation de l’article 8 au motif que
l’ingérence dans la vie privée du requérant
a été disproportionnée au but légitime visé
par le Gouvernement russe consistant à
protéger les intérêts et la santé d’autrui.
COUREDH, C.G. ET AUTRES C. BULGARIE, 24
AVRIL 2008
Expulsion, Vie familiale, Ingérence
disproportionnée, Absence de base
légale, Sécurité nationale
Les requérants, un ressortissant turc (C.G.),
sa femme (T.H.G.) et leur fille (T.C.G.),
toutes deux bulgares, se plaignaient de
l’expulsion de C.G. vers la Turquie. Après
s’être installé en Bulgarie, en 1992, le
premier requérant épousa T.H.G. en avril
1996. Il obtint peu après un permis de
séjour permanent. Il travailla comme
chauffeur pour une société bulgare, à
Plovdiv, jusqu’au 8 juin 2005, date à
laquelle il se vit retirer son permis de
séjour et fit l’objet d’un arrêté d’expulsion
au motif qu’il constituait une menace pour
la sécurité nationale. Le 9 juin 2005, à 6 h
30, C.G. fut convoqué à un poste de police
de Plovdiv puis expulsé le jour même en
Turquie, sans avoir été autorisé à entrer en
contact avec son avocat ou ses proches.
Malgré avoir saisi le Ministre de l’Intérieur
et les juridictions internes, C.G. fut
débouté en raison des informations
contenues dans un rapport du ministère de
l’Intérieur selon lesquelles une surveillance
secrète avait permis d’établir que le
premier requérant était impliqué dans un
trafic de stupéfiants.
La Cour constate que jusqu’à son
expulsion en 2005, C.G. a séjourné
légalement en Bulgarie et que, depuis lors,
il n’a pu rencontrer sa femme et sa fille
qu’à quelques occasions, pour de courtes
périodes. Son expulsion a donc constitué
une ingérence dans l’exercice par les
requérants de leur droit au respect de leur
vie familiale. En outre, la Cour relève que
même lorsque la sécurité nationale est en
jeu, les juridictions sont tenues de respecter
le principe du contradictoire lorsqu’elles
procèdent à l’examen des motifs invoqués
à l’appui d’une mesure d’expulsion et
qu’elles apprécient les preuves pertinentes,
sous réserve, le cas échéant, des
restrictions qui s’imposent concernant
l’usage d’informations secrètes.
Or en l’espèce, le juge européen met en
exergue le fait que la décision d’expulser
C.G. ne renfermait, à l’exception des
dispositions juridiques pertinentes relatives
aux menaces graves pour la sécurité
nationale, aucun motif factuel. Cette
décision se fondait sur des informations,
dont la nature n’a pas été précisée,
contenues dans un rapport confidentiel.
C.G. n’ayant jamais été informé de ce qui
permettait au gouvernement de justifier
qu’il présentait une menace pour la
sécurité nationale, il n’a donc pas pu
défendre sa cause de manière adéquate. À
cela s’ajoute le fait que l’implication
alléguée du premier requérant dans un
trafic de stupéfiants a constitué le seul
fondement permettant d’affirmer qu’il
présentait une menace pour la sécurité
nationale. Or la Cour estime qu’aussi
graves puissent être les actes imputés à
C.G., ils ne sauraient raisonnablement être
considérés comme constitutifs d’une
menace pour la sécurité nationale. Elle en
déduit que les juridictions bulgares n’ont
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donc pas soumis les allégations portées
contre C.G. à un examen sérieux : « the
Court finds it particularly striking that the
decision to expel the first applicant made
no mention of the factual grounds on
which it was made. It simply cited the
applicable legal provisions and stated that
he “present[ed] a serious threat to
national security”; this conclusion was
based on unspecified information
contained in a secret internal document
[…]. Lacking even outline knowledge of
the facts which had served as a basis for
this assessment, the first applicant was not
able to present his case adequately in the
ensuing appeal to the Minister of Internal
Affairs and in the judicial review
proceedings » (§ 46).
Par ailleurs, la Cour remarque que les
juridictions bulgares ne se sont livrées qu’à
un examen purement formaliste de la
décision d’expulser C.G. et qu’elles se sont
fondées uniquement sur des informations
non corroborées figurant dans un rapport
confidentiel établi à la suite d’une
surveillance secrète. Elles ont ainsi refusé
d’examiner des éléments de preuve qui
confirmaient ou contredisaient les
allégations portées contre l’intéressé : « It
did not elaborate on the evidentiary basis
for making such a finding and did not deal
with the first applicant's detailed
submissions that he had not in fact been
involved in such activities […].They
refused to examine other pieces of
evidence to confirm or refute the
allegations against him, and rested their
rulings solely on uncorroborated
information tendered by the Ministry of
Internal Affairs on the basis of the covert
monitoring of the first applicant » (§ 47).
Enfin, le juge de Strasbourg met l’accent
sur les carences du droit bulgare qui ne
prévoit pas les garanties minimales
découlant de l’article 8 en matière de
surveillance secrète, comme l’obligation de
veiller à la reproduction fidèle du rapport
de surveillance original ou celle de mettre
en place les procédures adéquates afin de
préserver l’intégrité des données en
question. Car en fait, rien dans le dossier
des requérants n’indique si les mesures de
surveillance secrète ont été ordonnées et
exécutées légalement ou si elles ont fait
l’objet d’un véritable examen par les
juridictions bulgares. En conséquence, la
Cour conclut que bien qu’il ait eu la
possibilité d’exercer un recours contre
l’arrêté d’expulsion, C.G. n’a pas bénéficié
du degré minimum de protection contre
l’arbitraire. L’ingérence dans la vie
familiale des requérants n’était donc pas
prévue par « la loi », en violation de
l’article 8.
Samuel Marchesseau
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