Article 13 de la Convention:
"Toute personne dont les droits et
libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi
d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation
aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions
officielles"
Di Sarno et autres c. Italie requête n° 30765/08 du 10
janvier 2011
L’incapacité prolongée des autorités italiennes à régler la
« crise des déchets » en Campanie a porté atteinte aux droits de l’homme des 18
requérants
En
l’espèce, de 2000 à 2008, le service de traitement et d’élimination des déchets
a été confié à des sociétés de droit privé, alors que le service de collecte des
déchets dans la commune de Somma Vesuviana a été assuré par plusieurs sociétés à
capital public. La circonstance que les autorités italiennes aient confié à des
organismes tiers la gestion d’un service public ne saurait cependant les
dispenser des obligations de vigilance leur incombant en vertu de l’article 8 de
la Convention (voir López
Ostra, précité, §§ 44-58).
Les requérants sont 18 ressortissants italiens, dont 13
résident et 5 autres travaillent dans la commune de Somma Vesuviana
(Campanie).
Du 11 février 1994 au 31 décembre 2009, le président du
Conseil des ministres prononça l’état d’urgence pour la région Campanie en
raison des graves problèmes d’élimination des déchets urbains. Dans un premier
temps, la gestion de l’état d’urgence fut confiée à des « commissaires délégués
».
Le 9 juin 1997, le président de la région agissant en tant
que commissaire délégué arrêta un plan régional d’élimination des déchets qui
prévoyait la construction de cinq incinérateurs, de cinq décharges principales
et de six autres décharges secondaires. Il lança un appel d’offres pour la
concession décennale du service de traitement et d’élimination des déchets
produits dans la province de Naples. En application du cahier des charges, le
concessionnaire retenu devait assurer la réception régulière des déchets
collectés, leur tri, leur transformation en combustible recyclé (le « CDR ») et
leur incinération. A cette fin, il devait construire et gérer trois centres
destinés au tri et à la production de combustible et réaliser une usine de
production électrique par combustion de CDR, avant le 31 décembre 2000.
La concession fut confiée à un consortium de cinq
entreprises qui s’engageaient à construire au total trois centres de production
de CDR et une usine d’incinération.
Le 22 avril 1999, le même commissaire délégué lança un appel
d’offres pour la concession du service d’élimination des déchets produits en
Campanie. La procédure d’adjudication fut emportée par un consortium qui créa la
société FIBE Campania S.p.A., laquelle s’engageait à construire et à gérer sept
centres de production de CDR et deux usines d’incinération. Elle devait assurer
la réception, le tri et le traitement des déchets produits dans la région de
Campanie.
En janvier 2001, la fermeture de la décharge de Tufino
entraîna la suspension provisoire de l’élimination des déchets dans la province
de Naples. Les maires des autres communes de la province autorisèrent à titre
provisoire leur stockage dans leurs décharges respectives.
Le 22 mai 2001, le service de ramassage, collecte et
transport des déchets de la commune de Somma Vesuviana fut confié à un
consortium de diverses entreprises, puis le 26 octobre 2004, la gestion de ce
service fut attribuée à une société à capital public.
Une enquête pénale fut ouverte en 2003, par le parquet près
le tribunal de Naples, sur la situation de la gestion du service d’élimination
des déchets en Campanie. Le 31 juillet 2007, le parquet demanda le renvoi en
jugement des administrateurs et de certains employés des sociétés
concessionnaires, du commissaire délégué en exercice de 2000 à 2004 et de
plusieurs fonctionnaires de son bureau pour avoir commis des délits de fraude,
d’inexécution de contrats publics, d’escroquerie, d’interruption d’un service
public, d’abus de fonctions, de faux idéologique dans l’exercice de fonctions
publiques et d’opérations de gestion de déchets non autorisées.
Une nouvelle crise se produisit à la fin de l’année 2007,
pendant laquelle des tonnes de déchets furent abandonnées dans les rues de
Naples et de plusieurs villes de sa province. Le 11 janvier 2008, le président
du Conseil des ministres nomma un haut fonctionnaire de police aux fonctions de
commissaire délégué chargé d’ouvrir des décharges et de repérer de nouveaux
sites de stockage et d’élimination des déchets.
Entre temps, une autre enquête pénale fut ouverte en 2006,
sur les opérations d’élimination des déchets réalisées pendant la phase
transitoire consécutive à la résiliation des premiers contrats de concession. Le
22 mai 2008, le juge ordonna l’assignation à résidence des prévenus :
administrateurs, cadres, employés des sociétés chargées d’assurer l’élimination
et le traitement des déchets, responsables de centres de tri de déchets, gérants
de décharges, représentants de sociétés de transports et fonctionnaires du
bureau du commissaire délégué. Ceux-ci furent accusés d’association de
malfaiteurs en vue du trafic illégal de déchets et de la réalisation de faux en
écritures publiques, d’escroquerie, de faux idéologique dans l’exercice de
fonctions publiques et d’activités organisées pour le trafic illicite de
déchets.
Décision de la Cour
I. SUR LES EXCEPTIONS
PRÉLIMINAIRES DU GOUVERNEMENT
A. Sur la qualité de « victimes » des
requérants
78. Le Gouvernement excipe d’abord du défaut de qualité de
« victimes » des requérants, avançant qu’ils n’ont subi aucune atteinte à leurs
droits au respect de la vie privée et familiale et du domicile, ni à leurs
droits à la santé et à la vie. A la différence des requérants dans les affaires
López
Ostra c. Espagne (9 décembre 1994, série A no 303-C) et Guerra
et autres c. Italie (19 février 1998, Recueil
des arrêts et décisions 1998-I), qui habitaient près d’usines polluantes,
les requérants dans la présente affaire n’ont pas démontré qu’ils vivaient ou
travaillaient à proximité de décharges ou de rues où l’abandon de déchets
pourrait avoir causé un préjudice sérieux à leur santé ou à leur bien-être
psychologique. La ville de Somma Vesuviana, dans laquelle les intéressés
habitent ou travaillent, n’aurait même pas été touchée par la « crise des
déchets ». Les requérants se plaindraient en réalité de la politique législative
et administrative en matière de gestion de déchets, introduisant ainsi devant la
Cour une actio
popularis non admise dans le système de la Convention.
79. Les requérants affirment que Somma Vesuviana a été l’une
des communes les plus gravement frappées par la « crise des déchets ». Cela
ressortirait d’un article paru le 4 mai 2008 dans le quotidien Corriere
della Sera faisant état d’un incendie de plusieurs tonnes de déchets
déclenché par les habitants de cette commune, ainsi que la mention de la « crise
des déchets » à l’ordre du jour de deux réunions du conseil municipal de la
ville. En outre, Somma Vesuviana se trouverait près de la commune de Marigliano,
qui, selon une étude scientifique de 2004 (voir paragraphe 60
ci-dessus), ferait partie d’une zone à haute concentration de tumeurs qui
seraient liées à la présence de déchets.
80. La Cour rappelle que le mécanisme de contrôle de la
Convention ne saurait admettre l’actio
popularis (Perez
c. France [GC], no 47287/99, § 70, CEDH 2004-I ; Ada
Rossi et autres c. Italie (déc.), no 55185/08, 55483/08,
55516/08, 55519/08, 56010/08, 56278/08, 58420/08 et 58424/08, CEDH 2008–...).
Par ailleurs, ni l’article 8 ni aucune autre disposition de la Convention ne
garantit spécifiquement une protection générale de l’environnement en tant que
tel (Kyrtatos
c. Grèce,
no 41666/98, § 52, CEDH 2003-VI (extraits)). Selon la
jurisprudence de la Cour, l’élément crucial qui permet de déterminer si, dans
les circonstances d’une affaire, des atteintes à l’environnement ont emporté
violation de l’un des droits garantis par le paragraphe 1 de l’article 8 est
l’existence d’un effet néfaste sur la sphère privée ou familiale d’une personne,
et non simplement la dégradation générale de l’environnement (Kyrtatos,
précité, § 52 ; Fadeïeva
c. Russie, no 55723/00, § 68, ECHR 2005-IV).
81. La Cour note que les requérants dénoncent une situation
affectant l’ensemble de la population de la Campanie, à savoir l’atteinte à
l’environnement provoquée par le mauvais fonctionnement du système de collecte,
de traitement et d’élimination des déchets mis en place par les autorités
publiques. Toutefois, elle relève qu’il ressort des documents fournis par les
parties que Somma Vesuviana a été frappée par la « crise des déchets ». En
particulier, une note de la présidence du Conseil des ministres du 16 novembre
2009 signale que, en raison du blocage d’un centre de production de CDR, les
déchets de Somma Vesuviana n’ont pas pu y être transportés et que « les rues
[...] ont été envahies par les déchets ». Les documents annexés aux observations
du Gouvernement relatent que, de janvier 2008 à juillet 2009, 3 069 tonnes de
déchets furent enlevées au cours de 94 opérations de ramassage auxquelles
participa l’armée dans la commune de Somma Vesuviana et que, du 5 mai 2008 au 9
octobre 2009, les pompiers furent appelés pour éteindre trente-quatre incendies
de déchets. Une note du service écologie et environnement de Somma Vesuviana
indique que, « de novembre 2007 à février 2008, la crise était à son
paroxysme »
faute de moyens de transport suffisants pour déposer les déchets dans les
décharges.
Dans ces conditions, la Cour estime que les dommages à
l’environnement dénoncés par les requérants sont de nature à affecter
directement leur propre bien-être (voir, a
contrario, Kyrtatos,
précité, § 53). Partant, il y a lieu de rejeter l’exception du
Gouvernement.
B. Sur le non-épuisement allégué des
voies de recours internes
82. Par ailleurs, le Gouvernement excipe du non-épuisement des
voies de recours internes. Les requérants auraient pu exercer une action
indemnitaire contre les organismes gérant le service de collecte, de traitement
et d’élimination des déchets pour leur demander réparation des préjudices
découlant du mauvais fonctionnement dudit service, comme l’auraient fait
d’autres habitants de la Campanie. Il ressortirait de la note du 16 novembre
2009 de la présidence du Conseil des ministres (voir paragraphe 81 ci-dessus)
que, au 31 décembre 2008, 1 294 affaires portant sur les mêmes faits et griefs
que ceux à l’origine de la présente requête avaient été introduites devant les
juges de paix de Campanie contre plusieurs municipalités de la région, y compris
celle de Somma Vesuviana, contre le commissaire délégué et contre la région.
Certaines d’entre elles auraient abouti à la condamnation des communes et/ou du
commissaire et au dédommagement des intéressés. Quatre habitants de Somma
Vesuviana auraient assigné la commune, le commissaire et la société chargée de
la collecte des déchets (MITA) devant le juge de paix de Sant’Anastasia.
D’autres actions en dommages-intérêts auraient été introduites devant des
juridictions administratives ou de droit commun hors de la région.
83. En outre, les requérants auraient pu demander au ministère
de l’Environnement d’introduire, devant les juridictions civiles ou pénales, une
action en réparation du préjudice environnemental au sens de l’article 18 de la
loi no 349/86 contre ces mêmes autorités et les administrateurs des
sociétés concessionnaires du service. Enfin, il aurait été loisible aux
intéressés de se constituer parties civiles dans les procédures pénales
diligentées contre le personnel des entreprises adjudicataires du service de
collecte des déchets en Campanie et contre les fonctionnaires du bureau du
commissaire délégué (voir paragraphes 49 et 51 ci-dessus). Les requérants
n’ayant exercé aucun des recours internes susmentionnés, ils auraient failli à
l’obligation qui leur incombe en vertu de l’article 35 § 1 de la
Convention.
84. Pour leur part, les requérants estiment qu’ils ne
disposaient d’aucune voie de recours utile et effective au sens des articles 35
et 13 de la Convention. Ils affirment que, bien que la « crise des déchets »
perdure en Campanie depuis 1994, aucune décision judiciaire reconnaissant la
responsabilité civile ou pénale des autorités publiques ou des entreprises
adjudicataires du service n’a été rendue. Ils concèdent qu’une procédure pénale
a été diligentée en 2003 par le parquet près le tribunal de Naples contre les
responsables présumés, mais signalent qu’elle est toujours pendante. Ils en
concluent que les recours prévus par le droit italien ne leur offraient aucune
chance d’obtenir une décision judiciaire, ni, d’ailleurs, de solliciter une
solution à la « crise des déchets ».
85. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de
recours internes inscrite à l’article 35 § 1 de la Convention vise à ménager aux
Etats contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations
alléguées contre eux avant que celles-ci ne lui soient soumises. Cette règle se
fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention – et avec lequel
elle présente d’étroites affinités – que l’ordre interne offre un recours
effectif quant à la violation alléguée (Selmouni c. France
[GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V). De la sorte, elle
constitue un aspect important du principe voulant que le mécanisme de sauvegarde
instauré par la Convention revête un caractère subsidiaire par rapport aux
systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme (Aksoy c. Turquie,
18 décembre 1996, § 51, Recueil
des arrêts et décisions 1996-VI).
86. En outre, en vertu de la règle de l’épuisement des voies
de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention, un requérant
doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour
lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue, étant entendu
qu’il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour
que le recours invoqué était effectif et disponible tant en théorie
qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible et
susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et qu’il
présentait des perspectives raisonnables de succès (voir, parmi d’autres, Akdivar
et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, Recueil
des arrêts et décisions 1996-IV, p. 1210, § 66, et Giacobbe
et autres c. Italie, no 16041/02, § 63, 15 décembre 2005). De
plus, selon les « principes de droit international généralement reconnus »,
certaines circonstances particulières peuvent dispenser le requérant de
l’obligation d’épuiser les recours internes qui s’offrent à lui (Selmouni, précité, § 75).
87. En ce qui concerne la possibilité pour les requérants
d’exercer une action en dommages-intérêts devant les juridictions civiles, la
Cour note, d’une part, qu’une telle démarche aurait théoriquement pu aboutir au
dédommagement des intéressés mais non à l’enlèvement des déchets des voies et
lieux publics. D’autre part, même à supposer qu’une réparation du préjudice
constituât un redressement adéquat des violations alléguées de la Convention, la
Cour estime que le Gouvernement n’a pas démontré que les requérants auraient eu
des chances de succès en exerçant cette voie de recours. Le Gouvernement s’est
borné à fournir copie des assignations introduites devant le juge de paix par
certains résidents de la Campanie contre les responsables de la gestion des
déchets, et à indiquer que des affaires étaient pendantes devant les
juridictions civiles et administratives. Aucune décision d’une juridiction
civile accordant un dédommagement aux habitants des zones concernées par
l’accumulation des déchets sur la voie publique n’a été fournie par le
Gouvernement. Par ailleurs, la Cour de cassation a confirmé, en 2009, la
compétence des juridictions administratives pour connaître des demandes
d’indemnisation en rapport avec la « crise des déchets » (voir paragraphe 70
ci-dessus). Toutefois, le Gouvernement n’a pas non plus produit de décision
juridictionnelle administrative octroyant une indemnité.
88. De même, le Gouvernement n’a cité aucune jurisprudence
établissant que les résidents des zones touchées par la mauvaise gestion des
déchets avaient qualité pour se constituer parties civiles dans le cadre de
procédures pénales visant à sanctionner des délits contre l’administration
publique et l’environnement.
89. Enfin, pour ce qui est de la possibilité de demander au
ministère de l’Environnement d’exercer une action en réparation du préjudice
environnemental au sens de l’article 18 de la loi no 349/86, la Cour
note d’emblée que la disposition évoquée par le Gouvernement a été abrogée par
l’article 318 du décret-loi no 152/06 et remplacée par l’article 311
dudit décret. Cette dernière disposition énonce, comme jadis l’article 18 de la
loi no 349/86, que seul le ministère de l’Environnement peut demander
réparation du préjudice environnemental et que les particuliers ne peuvent que
l’inviter à saisir les autorités judiciaires. Il s’ensuit que les recours prévus
par ces dispositions n’auraient pas permis aux requérants de se prévaloir du
préjudice découlant des dommages à l’environnement. En conséquence, ces recours
ne sauraient passer pour des recours utiles au sens de l’article 35 § 1 de la
Convention.
90. Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu’il y a lieu de
rejeter l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours
internes.
C. Sur l’observation du délai de six
mois
91. Le Gouvernement soutient que, en vertu de l’article 35 § 1
de la Convention, seuls des faits survenus dans les six mois précédant la date
d’introduction de la requête – en l’occurrence le 9 janvier 2008 – peuvent être
déférés à la Cour et que cette disposition interdit à celle-ci tout examen de la
situation antérieure.
92. Les requérants n’ont pas pris position sur ce
point.
93. La Cour relève que les requérants ne se plaignent pas d’un
acte instantané mais d’une situation de crise dans la gestion du service de
collecte, de transport, de traitement et d’élimination des déchets en Campanie.
Elle rappelle que, lorsque la violation alléguée constitue, comme en l’espèce,
une situation continue, le délai de six mois ne commence à courir qu’à partir du
moment où cette situation continue a pris fin (voir parmi d’autres, (Çınar c. Turquie,
no 17864/91, décision de la Commission du 5 septembre 1994 ; (Ülke
c. Turquie (déc.), no 39437/98, 1er juin 2004). Dès
lors, elle estime qu’il y lieu de rejeter l’exception du
Gouvernement.
II. SUR LA VIOLATION
ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
94. Invoquant les articles 2 et 8 de la Convention, les
requérants avancent que, en s’abstenant d’adopter les mesures requises pour
garantir le fonctionnement du service public de collecte des déchets et en
appliquant une politique législative et administrative inadaptée, l’Etat a nui
gravement à l’environnement de leur région et mis en danger leur vie et leur
santé ainsi que celles de l’ensemble de la population locale. Les autorités
publiques auraient, en outre, omis d’informer les intéressés des risques liés au
fait d’habiter dans un territoire pollué.
95. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
96. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la
cause (Guerra
et autres, précité, § 44), la Cour estime, au vu de sa jurisprudence en
la matière (López
Ostra, précité, § 51, Guerra
et autres,
précité, § 57 ; Moreno
Gómez c. Espagne, no 4143/02, 16 novembre 2004; Hatton
et autres c. Royaume-Uni [GC],
no 36022/97, § 96, CEDH 2003-VIII), que les griefs des
requérants doivent être examinés sous l’angle du droit au respect de la vie
privée et du domicile garanti par l’article 8 de la Convention, dont les
dispositions pertinentes sont ainsi libellées :
« 1. Toute personne a droit au respect de
sa vie privée (...), de son domicile (...).
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une
autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette
ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une
société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté
publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la
prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale,
ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Sur la recevabilité
97. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal
fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun
autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Thèse du Gouvernement
98. Le Gouvernement admet que « la gestion presque désastreuse
du service de collecte, de traitement et d’élimination des déchets produits dans
certaines zones de la province de Naples » a entraîné l’accumulation de déchets
dans les rues de certaines villes ainsi que la création de décharges illégales.
Toutefois, il avance que la phase aiguë de la crise n’a duré que cinq mois
environ, à savoir de fin 2007 à mai 2008, et que, en tout état de cause, Somma
Vesuviana n’a pas été touchée.
99. Il soutient en outre que les difficultés rencontrées en
Campanie sont imputables à des causes relevant de la force majeure telles que la
présence de la criminalité organisée dans la région, l’inexécution par les
entreprises adjudicataires du service de collecte des déchets des obligations
qui leur incombaient en vertu des contrats de concession, le manque
d’entreprises disposées à assurer la continuité du service et l’opposition de la
population à la création de décharges et de centres de production de CDR. Il
précise en outre que les incendies de déchets dans les rues ont été déclenchés
par les citoyens, raison pour laquelle l’Etat ne saurait en être tenu pour
responsable.
100. Il souligne que, en tout état de cause, les autorités
italiennes ont satisfait à leur devoir de vigilance et pris des mesures
adéquates pour réagir à la « crise ». D’une part, elles auraient diligenté des
poursuites pénales à l’encontre des responsables de la mauvaise gestion de la
situation. D’autre part, elles auraient adopté plusieurs mesures législatives,
dont le décret-loi no 90/08 par lequel aurait été mis en place un
système efficace ayant abouti au ramassage des déchets, à l’élimination des
décharges illégales et à la reprise du fonctionnement des usines de traitement
et d’élimination des déchets (voir paragraphe 68 ci-dessus).
101. Par ailleurs, elles auraient réalisé plusieurs études sur
les causes et les effets de la « crise des déchets » en Campanie et fourni à la
population des informations qui lui auraient permis d’évaluer son degré
d’exposition aux risques associés à la collecte, au traitement et à
l’élimination des déchets. Les causes de la crise des déchets en Campanie
auraient été analysées par trois commissions parlementaires, dont les
conclusions figureraient dans des rapports publics. Le ministère de la Santé et
le service de la protection civile auraient commandé diverses études d’impact de
la crise sur l’environnement et la santé humaine (voir paragraphes 62-64
ci-dessus). Ces études auraient démontré
que « la crise des déchets » n’avait pas eu d’impact significatif sur
l’environnement – exceptée une augmentation sporadique des niveaux de pollution
de l’eau non directement imputable à la présence de déchets – ni de conséquences
négatives sur la santé humaine. Leurs résultats auraient été diffusés à
l’occasion de séminaires et de conférences publics. Enfin, un centre de
documentation sur la santé et la pollution environnementale provoquée par les
déchets, géré par le Centre national pour la prévention et le contrôle des
maladies (CCM) et la région de Campanie, serait en cours de création.
b) Thèse des requérants
102. Les requérants soutiennent que les carences des autorités
publiques dans la gestion de la crise ont causé des dommages à l’environnement
et mis en danger leur santé.
103. L’Etat défendeur aurait aussi failli à l’obligation de
fournir des informations permettant aux intéressés d’évaluer leur degré
d’exposition aux risques associés à la collecte et à l’élimination des déchets
faute d’avoir diffusé auprès du public les résultats de l’étude commandée par le
service de la protection civile (paragraphe 62 ci-dessus). Par ailleurs, l’étude
de l’ISS, présentée à la préfecture de Naples en janvier 2009 (paragraphe 63
ci-dessus), aurait mis en évidence un lien entre le taux de tumeurs et la
présence de décharges dans la zone comprenant les communes d’Acerra, de Nola et
de Marigliano (limitrophe de Somma Vesuviana).
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
104. La Cour rappelle que des atteintes graves à
l’environnement peuvent affecter le bien-être des personnes et les priver de la
jouissance de leur domicile de manière à nuire à leur vie privée et familiale
(López
Ostra,
précité, § 51 ; Guerra
et autres, précité, § 60).
105. Par ailleurs, elle souligne que l’article 8 ne se borne
pas à astreindre l’Etat à s’abstenir d’ingérences arbitraires : à cet engagement
plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un
respect effectif de la vie privée. En tout état de cause, que l’on aborde la
question sous l’angle de l’obligation positive de l’Etat d’adopter des mesures
raisonnables et adéquates pour protéger les droits de l’individu en vertu du
premier paragraphe de l’article 8 ou sous celui d’une ingérence d’une autorité
publique, à justifier selon le second paragraphe, les principes applicables sont
assez voisins (López Ostra,
précité, § 51, et
Guerra, précité, § 58).
106. Les Etats ont avant tout l’obligation positive, en
particulier dans le cas d’une activité dangereuse, de mettre en place
une réglementation adaptée aux spécificités de ladite activité, notamment
au niveau du risque qui pourrait en résulter. Cette obligation doit régir
l’autorisation, la mise en fonctionnement, l’exploitation, la sécurité et
le contrôle de l’activité en question, ainsi qu’imposer à toute personne
concernée par celle-ci l’adoption de mesures d’ordre pratique propres à assurer
la protection effective des citoyens dont la vie risque d’être exposée aux
dangers inhérents au domaine en cause (voir, mutatis
mutandis, Oneryildiz
c. Turquie, [GC],
no 48939/99, § 90, CEDH 2004-XII).
107. En ce qui concerne les obligations procédurales découlant
de l’article 8, la Cour rappelle qu’elle attache une importance particulière à
l’accès du public à des informations permettant d’évaluer le danger auquel il
est exposé (Guerra,
précité, § 60 ; Taşkin
et autres c. Turquie no 46117/99, § 119, CEDH 2004-X ; Giacomelli
c. Italie, no 59909/00, § 83, CEDH 2006-XII; Tătar
c. Roumanie, no 67021/01, § 113, CEDH 2009-... (extraits)).
Elle rappelle de surcroît que l’article 5 § 1 c) de la Convention d’Aarhus,
ratifiée par l’Italie, prévoit que chaque Partie fait en sorte « qu’en
cas de menace imminente pour la santé ou l’environnement, imputable à des
activités humaines ou due à des causes naturelles, toutes les informations
susceptibles de permettre au public de prendre des mesures pour prévenir ou
limiter d’éventuels dommages qui sont en la possession d’une autorité publique
soient diffusées immédiatement et sans retard aux personnes qui risquent d’être
touchées » (paragraphe 76 ci-dessus).
b) Application des principes précités
au cas d’espèce
108. La Cour rappelle d’emblée qu’elle vient de constater
(paragraphe 80 ci-dessus) que la commune de Somma Vesuviana, où les requérants
habitent ou travaillent, a été frappée par la « crise des déchets ». Elle relève
que la Campanie a connu l’état d’urgence du 11 février 1994 au 31 décembre 2009
et que les requérants ont été contraints de vivre dans un environnement pollué
par les déchets abandonnés sur la voie publique au moins à compter de la fin de
l’année 2007 jusqu’au mois de mai 2008. La Cour estime que cette situation a pu
conduire à une détérioration de la qualité de vie des intéressés et, en
particulier, nuire à leur droit au respect de la vie privée et du domicile. Dès
lors, l’article 8 trouve à s’appliquer en l’espèce. Par ailleurs, la Cour note
que les requérants n’ont pas allégué être affectés par des pathologies liées à
l’exposition aux déchets et que les études scientifiques fournies par les
parties parviennent à des conclusions opposées quant à l’existence d’un lien de
causalité entre l’exposition aux déchets et l’augmentation du risque de
développement de pathologies telles que des cancers ou des malformations
congénitales. Dans ces conditions, bien que la Cour de justice de l’Union
européenne, appelée à se prononcer sur la question de l’élimination des déchets
en Campanie, ait estimé que l’accumulation de quantités importantes de déchets
sur la voie publique et des aires de stockage temporaires était susceptible
d’exposer à un danger la santé de la population résidente (voir l’arrêt
C-297/08, précité, paragraphes 55 et 56 ci-dessus), la Cour ne saurait conclure
que la vie et la santé des requérants ont été menacées. Cela étant, l’article 8
peut être invoqué même en l’absence de la preuve d’un grave danger pour la santé
des intéressés (voir López
Ostra, précité, § 51).
109. La Cour considère que la présente affaire porte non sur
une ingérence directe dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et du
domicile des requérants qui se serait matérialisée par un acte des autorités
publiques, mais sur le manquement allégué de celles-ci à prendre des mesures
adéquates pour assurer le fonctionnement régulier du service de collecte,
de
traitement et d’élimination
des déchets dans la commune de Somma Vesuviana. Elle estime donc
approprié de se placer sur le terrain des obligations positives découlant de
l’article 8 de la Convention (voir Guerra,
précité, § 58).
110. La
collecte, le traitement et l’élimination des déchets constituent, à n’en pas
douter, des activités dangereuses (voir, mutatis
mutandis, Oneryildiz,
précité, § 71). Dès lors, il pesait sur l’Etat l’obligation positive d’adopter
des mesures raisonnables et adéquates capables de protéger les droits des
intéressés au respect de leur vie privée et de leur domicile et, plus
généralement, à la jouissance d’un environnement sain et protégé (voir T
tar, précité, § 107). La Cour rappelle, par ailleurs, la marge d
appréciation dont jouissent les Etats dans le choix des mesures concrètes à
adopter pour s acquitter des obligations positives découlant de l article 8 de
la Convention (voir Fadeïeva,
précité, § 96).
111. La
Cour relève que l’Etat italien a adopté, à partir de mai 2008, plusieurs
mesures et pris des initiatives pour surmonter les difficultés rencontrées en
Campanie et que l’état d’urgence, déclaré en Campanie le 11 février 1994, a été
levé le 31 décembre 2009. Le gouvernement défendeur a, certes, admis l’existence
d’un état de crise, mais il l’a qualifié de situation de force majeure. A ce
propos, la Cour se borne à rappeler qu’aux termes de l’article 23 des Articles
de la Commission de droit international des Nations Unies, sur la responsabilité
de l’État pour fait internationalement illicite, la « force majeure » consiste
en « (...) une force irrésistible ou (...) un événement extérieur imprévu qui
échappe au contrôle de l’Etat et fait qu’il est matériellement impossible, étant
donné les circonstances, d’exécuter [une] obligation [internationale] »
(paragraphe 77 ci-dessus). Eu égard aussi aux conclusions de la Cour de justice
de l’Union européenne dans l’affaire C-297/08 précitée, la Cour estime que les
circonstances invoquées par l’Etat italien ne sauraient relever de la force
majeure.
112. Selon
la Cour, même si on considère, comme l’affirme le gouvernement, que la phase
aiguë de la crise n’a duré que cinq mois – de fin 2007 à mai 2008 – et malgré la
marge d’appréciation reconnue à l’Etat défendeur, force est de constater que
l’incapacité prolongée des autorités italiennes à assurer le fonctionnement
régulier du service de collecte, de traitement et d’élimination des déchets a
porté atteinte au droit des requérants au respect de leur vie privée et de leur
domicile, en violation de l’article 8 de la Convention sous son volet
matériel.
113. En revanche, en ce qui concerne le volet procédural de
l’article 8 et le grief tiré du manque allégué de diffusion d’informations
propres à permettre aux requérants d’évaluer le risque auquel ils étaient
exposés, la Cour souligne que les études commandées par le service de la
protection civile ont été rendues publiques en 2005 et 2008. Dès lors, elle
estime que les autorités italiennes se sont acquittées de l’obligation
d’informer les personnes concernées, y compris les requérants, quant aux risques
potentiels auxquels elles s’exposaient en continuant à résider en Campanie.
Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention à cet
égard.
III. SUR LES VIOLATIONS
ALLÉGUÉES DES ARTICLES 6 ET 13 DE LA CONVENTION
114. Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention, les
requérants allèguent que les autorités italiennes n’ont pris aucune initiative
visant à sauvegarder les droits des justiciables et reprochent à la justice
d’avoir considérablement tardé à poursuivre pénalement les responsables de la
« gestion » des déchets.
115. En ce qui concerne le grief portant sur l’ouverture de
poursuites pénales, la Cour rappelle que ni les articles 6 et 13 ni aucune autre
disposition de la Convention ne garantissent à un requérant le droit de faire
poursuivre et condamner des tiers ou le droit à la « vengeance privée » (voir
Perez,
précité, § 70 ; Oneryildiz,
précité, § 147). Dès lors, la Cour estime qu’il y lieu de déclarer cette partie
du grief irrecevable pour incompatibilité ratione
materiae avec les dispositions de la Convention, au sens des articles 35
§§ 3 b) et 4.
116. En
revanche, pour autant que le grief des requérants porte sur l’absence, dans
l’ordre juridique italien, de voies de recours effectives qui leur auraient
permis d’obtenir réparation de leur préjudice, la Cour considère qu’il relève de
l’article 13 de la Convention, qu’il est étroitement lié aux griefs examinés aux
paragraphes 93-111 ci-dessus et qu’il doit donc être déclaré recevable.
117. La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention
garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant à l’autorité
nationale compétente de connaître du contenu d’un « grief défendable » fondé sur
la Convention (Z. et
autres c. Royaume-Uni [GC], no 29392/95, § 108, CEDH 2001-V).
L’objet de cet article est de fournir un moyen au travers duquel les
justiciables puissent obtenir, au niveau national, le redressement des
violations de leurs droits garantis par la Convention, avant d’avoir à mettre en
œuvre le mécanisme international de plainte devant la Cour (Kudła
c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI).
118. Eu égard aux conclusions auxquelles elle est parvenue
quant à l’existence de voies de recours utiles et effectives permettant de
soulever, devant les autorités nationales, des griefs ayant trait aux
conséquences préjudiciables pour les requérants de la mauvaise gestion du
service de collecte, de traitement et d’élimination des déchets (paragraphes
84-89 ci-dessus), la Cour estime qu’il y lieu de conclure à la violation de
l’article 13 de la Convention en l’espèce.
ANNEXE
Liste
des requérants
Nom
|
Prénom
|
Année de naissance
|
Lieu
de résidence
| |
1.
|
Di
Sarno
|
Francesco
|
1954
|
Sant’Anastasia
(NA)
|
2.
|
Di
Lorenzo
|
Errico
|
1974
|
Somma
Vesuviana (NA)
|
3.
|
Raiola
|
Luigi
|
1974
|
Somma
Vesuviana (NA)
|
4.
|
De
Falco
|
Lucio
|
1939
|
Somma
Vesuviana (NA)
|
5.
|
Esposito
|
Marianna
|
1978
|
Somma
Vesuviana (NA)
|
6.
|
Buonuomo
|
Armando
|
1948
|
Somma
Vesuviana (NA)
|
7.
|
Di
Lorenzo
|
Domenico
|
1977
|
Somma
Vesuviana (NA)
|
8.
|
Di
Lorenzo
|
Giuseppina
|
1974
|
Somma
Vesuviana (NA)
|
9.
|
Izzo
|
Ulderico
|
1940
|
Somma
Vesuviana (NA)
|
10.
|
Vesce
|
Anna
|
1942
|
Somma
Vesuviana (NA)
|
11.
|
Rippa
|
Mariano
|
1944
|
Somma
Vesuviana (NA)
|
12.
|
Di
Lorenzo
|
Mariano
|
1944
|
Somma
Vesuviana (NA)
|
13.
|
Rippa
|
Giuseppe
|
1947
|
Somma
Vesuviana (NA)
|
14.
|
Aliperta
|
Maria
|
1946
|
Somma
Vesuviana (NA)
|
15.
|
Coppola
|
Angelo
|
1967
|
Palma
Campania (NA)
|
16.
|
Raiola
|
Gaetano
|
1950
|
S. Giorgio a Cremano (NA)
|
17.
|
Galise
|
Armando
|
1976
|
Acerra
(NA)
|
18.
|
Raiola
|
Giovanna
|
1980
|
Acerra
(NA)
|
OPINION DISSIDENTE DU JUGE SAJÓ
Bien que je partage les
préoccupations exprimées par mes collègues sur le fond, je regrette de devoir me
dissocier d’eux en l’espèce car j’estime que la requête est
irrecevable.
La Cour, dans son arrêt,
rejette l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours
internes. Elle dit qu’il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de
convaincre la Cour que le recours invoqué était effectif et disponible tant en
théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible
et susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et qu’il
présentait des perspectives raisonnables de succès. Selon la Cour, « aucune
décision d’une juridiction civile accordant un dédommagement aux habitants des
zones concernées par l’accumulation des déchets sur la voie publique n’a été
fournie par le Gouvernement. » (paragraphe 87 de l’arrêt). Il n’a jamais été
conclu que le régime de la responsabilité civile en Italie était lacunaire en
tant que tel ; dans les circonstances de l’espèce, il était tout simplement
impossible de démontrer l’existence d’un recours, étant donné que les requérants
n’ont pas attendu l’issue de leur recours civil (apparemment certains des
requérants et d’autres personnes dans des situations analogues ont engagé une
telle action devant les juridictions internes). Il est impossible de prouver
l’existence d’un recours dans le cas d’espèce si on ne laisse pas à la justice
le temps de connaître de l’affaire. Les événements en cause se sont déroulés au
moins à compter de la fin de l’année 2007 et jusqu’au mois de mai 2008
(paragraphe 108 de l’arrêt). La requête a été introduite le 9 janvier 2008 et le
Gouvernement a soumis ses observations le 23 octobre 2009. Je ne vois pas
comment l’ordre judiciaire italien aurait pu produire entre mai 2008 et le
23 octobre 2009 (voire la date de nos délibérations) un jugement définitif, qui
aurait démontré le caractère effectif ou non du recours.
En outre, je ne suis pas
convaincu que les personnes qui prétendent travailler dans le village de Somma
Vesuviana mais n’y résident pas puissent se prétendre victimes puisqu’elles
n’ont pas démontré que la présence des déchets avait des répercussions sur la
jouissance de leur vie privée et de leur domicile au point qu’il en résulterait
une ingérence dans leur vie privée, sous l’angle du « bien-être » (paragraphe 81
de l’arrêt) ni indiqué comment cette situation a pu conduire à une détérioration
de la qualité de vie des intéressés qui travaillent à Somma Vesuviana et, en
particulier, nuire à leur droit au respect de la vie privée et du domicile (italique
ajouté par moi).
OBSERVATION DE FREDERIC FABRE
L'élimination des déchets parfois
contrôlée par des associations de malfaiteurs, est un problème qui dure depuis
une trentaine d'années en Italie sans qu'il ne soit résolu. Par conséquent il
n'y a pas de recours efficace pour résoudre ce problème. Je ne peux qu'être
d'accord avec la Cour sur ce point.
Pour la protection du domicile,
effectivement la Cour vient de constater que la zone entre le domicile et le
lieu de travail peut être un abord du domicile au sens de l'article 8 de la
Convention.
ARRET DE LA
GRANDE CHAMBRE Mc FARLANE c IRLANDE requête no 31333/06 DU 10
SEPTEMBRE 2010
Le
requérant, Brendan McFarlane, est un ressortissant irlandais né en 1951 et
résidant à Belfast. L’affaire concerne le délai de plus de quatorze ans mis par
les autorités irlandaises pour entamer des poursuites pénales contre lui pour
des infractions qu’il aurait commises en 1983 et pour lesquelles il fut mis hors
de cause en 2008.
En janvier 1998, M.
McFarlane fut libéré sous condition après avoir purgé une peine d’emprisonnement
en Irlande du Nord au motif qu’il avait participé dans les années 1970 à un
attentat à la bombe dont l’Armée républicaine irlandaise (Irish
Republican Army – « l’IRA ») fut jugée responsable. Quelques jours après
sa libération, il fut arrêté et placé en détention par la police irlandaise,
puis inculpé devant la Cour criminelle spéciale (Special
Criminal Court – la « SCC ») de Dublin de séquestration arbitraire et de
possession irrégulière d’armes à feu, infractions qu’il aurait commises en 1983
après s’être évadé de prison. Le 13 janvier 1998, il bénéficia d’une libération
conditionnelle, assortie de certaines mesures de contrôle.
M.
McFarlane engagea une procédure de contrôle juridictionnel pour faire cesser les
poursuites pénales à son encontre au motif que le délai observé pour entamer
celles-ci compromettait ses chances de bénéficier d’un procès équitable et que
la non-conservation et la non-communication par les autorités de poursuite de
certains éléments de preuve (tels que des empreintes digitales) avait réduit sa
capacité à contester la nature et la force des éléments de preuve devant être
utilisés lors de son procès. Ses griefs relatifs au retard dans l’ouverture des
poursuites furent en fin de compte rejetés par la Cour suprême en 2006 ;
celle-ci conclut qu’il appartenait manifestement aux autorités de poursuite de
choisir le moment auquel les poursuites devaient être entamées. Quant à la perte
des preuves, la Cour suprême conclut que le juge statuant sur l’affaire devrait
établir s’il y avait eu une inéquité dont le ministère public pouvait être tenu
pour responsable. Le requérant engagea une autre action en interdiction des
poursuites pour retard, qui fut rejetée en janvier 2008. M. McFarlane dut se
déplacer quarante fois à la SCC (un voyage de 320 km aller et retour) dans le
cadre de la procédure pénale dirigée contre lui. Il fut mis définitivement hors
de cause en juin 2008.
Article 13
La Cour ne
trouve effectif aucun des recours internes dont le gouvernement irlandais fait
état.
En ce qui
concerne le premier et principal recours invoqué – recours en indemnisation de
la violation du droit constitutionnel à être jugé avec une diligence raisonnable
– la Cour estime qu’il existe une incertitude importante quant à sa
réalité.
Certes, le recours invoqué
existe en théorie depuis près de vingt-cinq ans, mais il n’a jamais été utilisé.
L’évolution et la disponibilité d’un recours que l’on invoque, y compris sa
portée et son champ d’application, doivent être exposés avec clarté et confirmés
ou complétés par la pratique ou la jurisprudence, et ce même dans le cadre d’un
système juridique inspiré de la common
law et doté d’une constitution écrite garantissant implicitement le droit
à être jugé dans un délai raisonnable (comme c’est le cas de
l’Irlande).
La Cour considère qu’il n’a
pas été démontré que le recours constitutionnel en indemnisation puisse être
valablement exercé dans le cas d’un délai mis par un juge pour rendre une
décision. De plus, le recours constitutionnel invoqué ferait partie du
contentieux civil de la High
Court et de la Cour suprême, pour lequel aucune procédure particulière ou
rationalisée n’a été élaborée. Le recours en question s’analyserait donc en un
recours constitutionnel en indemnisation, juridiquement complexe, notamment sur
le plan procédural, porté devant la High
Court, puis probablement en appel devant la Cour suprême, qui, au moins
au début, présenterait une certaine nouveauté juridique. La Cour estime qu’il en
découle deux conséquences : la durée que pourrait avoir pareille procédure
(éventuellement plusieurs années) et les frais et dépens potentiellement élevés
susceptibles d’être engendrés par le recours.
Quant aux
autres recours invoqués par le Gouvernement, la Cour juge ineffective une action
en indemnisation au titre de la loi de 2003 sur la Convention européenne des
droits de l’homme puisque, entre autres choses, il semble que des lenteurs
imputables aux « tribunaux » ne pourraient être dénoncées en justice par ce
biais et que la loi de 2003, entrée en vigueur le 31 décembre 2003 alors que la
procédure engagée par le requérant était pendante depuis près de six ans, n’est
pas rétroactive. Quant à la possibilité de solliciter une ordonnance
d’interdiction pour préjudice et risque réel d’inéquité du procès à cause de la
durée de la procédure, elle est substantiellement différente d’une action en
indemnisation pour des délais fautifs et ne saurait constituer un recours
effectif devant être utilisé pour dénoncer un délai raisonnable au sens de
l’article 6 § 1.
La Cour
considère donc que le Gouvernement n’a pas démontré que les recours qu’il
invoque constituent des recours effectifs qui étaient disponibles en théorie et
en pratique pour le requérant à l’époque des faits. Partant, elle conclut qu’il
y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 6 § 1.
AVERTISSEMENT:
La jurisprudence de la Cour a été
contrainte de préciser:
-dans quelle mesure un requérant
peut ou non se plaindre d'une violation de l'article 13 de la
Convention;
-dans quelle mesure l'examen d'une
allégation pour violation de l'article 13 doit être examinée si l'Etat défendeur
est déjà condamné pour une violation de l'article 6§1 de la
Convention.
UN
RECOURS INTERNE DOIT EXISTER POUR FAIRE EXAMINER UN GRIEF DEFENDABLE
La
C.E.D.H doit successivement répondre à deux questions pour constater la
violation ou non de l'article 13:
1/la violation alléguée de la
Convention a-t-elle un caractère défendable ou non?
2/le requérant a-t-il la possibilité
ou non d'un recours interne effectif réel et efficace pour corriger cette
violation?
Arrêt Boyle et Ryce contre
Royaume-Uni du 27/04/1988; Hudoc 31; requêtes 9658/82 et 9659/82; Arrêt Powell
et Rayner du 21/02/1990; Hudoc 206; requête 9310/81; dans ce dernier
arrêt la Cour précise:
"Elle (La Cour) a compétence pour
connaître de toute question de fait ou de droit relative aux griefs dont elle
se trouve régulièrement saisie dans le contexte de l'article 13 y compris le
caractère "défendable" ou non de chacune des allégations d'infractions aux
clauses normatives ()
Pour trancher ce dernier point, il
échet d'examiner les faits et la nature des questions de droit soulevé sur la
recevabilité et de leur motivation ()
Un grief ne devient pas
nécessairement défendable parce qu'avant de le déclarer irrecevable la
Commission y a consacré une étude attentive de même qu'aux faits l'ayant
suscité"
Arrêt Camenzind contre Suisse du
16/12/1997; Hudoc 739; requête 21353/93:
"Selon la jurisprudence constante de
la Cour, l'article 13 exige un "recours effectif devant une instance nationale"
pour les plaintes que l'on peut estimer "défendables" au regard de la Convention
()
Bref, compte tenu de l'ensemble des
circonstances de la cause, le requérant n'a pas bénéficié d'un "recours
effectif devant une instance nationale" pour exposer son grief tiré de
l'article 8.
Partant, il y a eu violation de
l'article 13 de la Convention, combiné avec l'article 8"
LA
REGLE:
Nul besoin qu'un grief défendable
ait abouti à une constatation de violation de la Convention.
Un grief défendable de violation
d'un article de la Convention, a pour conséquence la violation de l'article 13,
s'il n'existe aucune instance de droit interne pour l'examiner.
EXCEPTION:
Lorsqu'une violation est
définitivement constatée au sens de l'article 6§1 de la Convention, la Cour
constate que le grief au sens de l'article 13 en est englobé ou
absorbé.
Par conséquent, il y a nul besoin de
l'examiner sous l'angle de l'article 13.
EXCEPTION A L'EXCEPTION POUR CONFIRMER LA REGLE:
Une condamnation pour délai non
raisonnable d'une procédure au sens de l'article 6§1 n'empêche pas l'examen du
grief sous l'angle de l'article 13 de la Convention.
UN
DELAI NON RAISONNABLE D'UNE PROCEDURE CONSTATE AU SENS DE L'ARTICLE 6§1, NE
S'OPPOSE PAS A UN EXAMEN AU SENS DE L'ARTICLE 13
Arrêt de principe Kudla contre Pologne
du 26 octobre 2000; Hudoc 1996; requête 30210/96:
"La Cour estime aujourd'hui que le
temps est venu de revoir la jurisprudence, eu égard à l'introduction devant elle
d'un nombre toujours plus important de requêtes dans lesquelles se trouve
exclusivement ou principalement allégué un manquement à l'obligation d'entendre
les causes dans un délai raisonnable au sens de l'article 6§1 ()
La fréquence croissante des constats
de violation à cet égard a récemment amené la Cour à attirer l'attention sur "le
danger important" que "la lenteur excessive de la justice" représente pour
l'état de Droit dans les ordres juridiques nationaux () lorsque les justiciables
ne disposent, à cet égard, d'aucune voie de recours interne ()
La Cour perçoit à présent la
nécessité d'examiner le grief fondé par le requérant sur l'article 13 considéré
isolément, nonobstant le fait qu'elle a déjà conclu à la violation de l'article
6§1 pour manquement à l'obligation d'assurer à l'intéressé un procès dans un
délai raisonnable ()
L'objet de l'article 13 est de
fournir un moyen au travers duquel les justiciables puissent obtenir, au niveau
national, le redressement des violations de leurs droits garantis par la
Convention, avant d'avoir à mettre en oeuvre le mécanisme international de
plainte devant la Cour.
Vu sous cet angle, le Droit de
chacun à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable ne peut être que moins
effectif s'il n'existe aucune possibilité de saisir d'abord une autorité
nationale des griefs tirés de la Convention et les exigences de l'article 13
doivent être regardées comme renforçant celles de l'article 6§1 plutôt que comme
étant absorbées par l'obligation générale, imposée par cet article de ne pas
soumettre les justiciables à des procédures judiciaires anormalement longues
()
L'interprétation correcte de
l'article 13 est que cette disposition garantit un recours effectif devant une
instance nationale permettant de se plaindre d'une méconnaissance de
l'obligation imposée par l'article 6§1, d'entendre les causes dans un délai
raisonnable ()
Le recours exigé par l'article 13
doit être "effectif" en pratique comme en droit () "L'instance" dont parle cette
disposition (art 13) n'a pas besoin d'être une institution judiciaire, mais
alors ses pouvoirs et ses garanties qu'elle présente entrent en ligne de compte
pour apprécier l'effectivité du recours s'exerçant contre elle.
En outre, l'ensemble des recours
offerts par ce droit interne peut remplir les exigences de l'article 13
()
Il reste à la Cour à déterminer si
les moyens dont le requérant disposait en droit polonais pour se plaindre de la
durée de la procédure suivie dans sa cause étaient "effectifs" en ce sens qu'ils
auraient pu empêcher la survenance ou la continuation de la violation alléguée
ou auraient pu fournir à l'intéressé un redressement approprié pour toute
violation s'étant déjà produite"
Cet arrêt succède à
une longue jurisprudence dans laquelle la Cour refusait d'examiner le grief de
violation sous l'angle de l'article 13 quand elle avait déjà constaté la
violation de l'article 6§1 de la Convention.
QUELQUES ARRETS DE REJET AVANT L'ARRET KUDLA CONTRE
POLOGNE:
Geouffre de la Pradelle contre France
du 16/12/1992; Hudoc 361; requête 12964/87.
Henrich contre France du 22/09/1994;
Hudoc 485; requête 13616/88:
"Vu sa décision relative à l'article
6§1, la Cour juge inutile d'examiner l'affaire sous l'angle de l'article 13 de
la Convention; les exigences de cette disposition sont en effet moins strictes
que celles de l'article 6§1 et absorbées par elles en l'espèce"
Escoubet contre Belgique du
28/10/1999; Hudoc 1134; requête 26780/95.
Coeme et autres contre Belgique du
22/06/2000; Hudoc 1974; requêtes 32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96,
33210/96:
"La Cour juge inutile d'examiner
l'affaire sous l'angle de l'article 13 de la Convention. Les exigences de cette
disposition sont en effet moins strictes que celles de l'article 6§1 et elle
sont, en l'espèce absorbées par celle-ci"
LA
COUR LUTTE CONTRE LE DELAI NON RAISONNABLE DES PROCEDURES
INTERNES
L'arrêt Kudla
contre Pologne fut la conséquence de la résistance des Etats défendeurs à
ne pas vouloir organiser leurs juridictions pour que les procès ne subissent
plus de délai non raisonnable.
Le greffe de la C.E.D.H fut envahi
de requêtes essentiellement fondées sur un délai non raisonnable d'une procédure
au sens de l'article 6§1 de la Convention.
L'Etat
défendeur francophone ou non, se voit alors condamné deux fois pour le même
fait:
-une fois sous l'angle de l'article
6§1 de la Convention pour sanctionner un délai non raisonnable d'une
procédure;
-une seconde fois au sens de
l'article 13 pour constater l'absence de recours interne, destiné soit à mettre
fin au délai non raisonnable de la procédure, soit à réparer le préjudice
subi.
Quatre Etats
francophones se décidèrent à corriger leur jurisprudence et leur
législation pour offrir aux justiciables la possibilité d'obtenir en droit
interne:
-soit une accélération de la
procédure; solution adoptée par la Belgique et la
Suisse;
-soit une réparation de leur
préjudice; solution adoptée par la France et le Grand Duché du Luxembourg.
Le greffe de la
C.E.D.H fut alors vidé des requêtes fondées sur le grief du délai non
raisonnable d'une procédure.
CONFIRMATION DE LA JURISPRUDENCE KUDLA CONTRE
POLOGNE:
Le caractère effectif d'un recours
s'apprécie à la date du dépôt d'une requête et non pas au jour d'une décision de
la Cour.
Les Etats francophones mirent un
certain temps à changer leur jurisprudence et leur législation interne.
Par conséquent, la jurisprudence
Kudla contre Pologne fut, quelques temps, confirmée:
Arrêt Nouhaud contre France du
09/07/2002; Hudoc 3795; requête 33424/96.
Arrêt Stratégies et communications
Dumoulin contre Belgique du 15/07/2002; Hudoc 3810; requête
37370/97:
"La Cour rappelle qu'opérant un
revirement de jurisprudence à l'occasion de l'affaire Kudla, elle a estimé
nécessaire d'examiner le grief fondé par le requérant sur l'article 13 considéré
isolément, nonobstant le fait qu'elle avait déjà conclu à la violation de
l'article 6§1 pour manquement à l'obligation d'assurer à l'intéressé un
procès dans un délai raisonnable.
Pour la Cour, l'article 13 garantit
un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre
d'une méconnaissance de l'obligation, imposée par l'article 6§1, d'entendre les
causes dans un délai raisonnable.
La portée de l'obligation que
l'article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la
nature du grief du requérant. Le recours exigé par l'article 13 doit
être "effectif" en pratique comme en droit.
Toutefois "l'effectivité" d'un
recours ne dépend pas de l'issue favorable pour le requérant. De même
"l'instance" dont parle cette disposition n'a pas besoin d'être une institution
judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu'elle représente entre en
ligne de compte pour apprécier l'effectivité du recours s'exerçant devant
elle.
En outre, l'ensemble des recours
offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l'article 13, même si
aucun d'eux n'y répond en entier à lui seul (Kudla)"
En l'espèce, le
législateur belge a édicté un nouvel article 136-2 dans le code d'instruction
criminelle pour permettre de saisir la chambre d'instruction quand le délai de
la procédure pénale est non raisonnable.
Le Gouvernement n'a pas pu présenter
un arrêt d'application de cette trop nouvelle loi.
La violation de l'article 13 de la
Convention est donc constatée.
Arrêt Laidin contre France du
07/01/2003; Hudoc 4075; requête 39282/98:
"C'est à la date
d'introduction de la requête devant la Cour que " l'effectivité" du recours au
sens de l'article 13 doit être appréciée, à l'instar des voies de recours
interne à épuiser au sens de l'article 35§1 de la Convention, ces 2 dispositions
présentant "d'étroites affinités" ()
Arrêt Dactylidi contre Grèce du
27/03/2003; Hudoc 4215; requête 52903/99; la Cour constate le délai non
raisonnable d'une procédure administrative au sens de l'article 6§1 de la
Convention.
Elle examine, ensuite,
le grief sous l'angle de l'article 13 de la Convention:
"§47: L'effectivité d'un "recours"
au sens de l'article 13 ne dépend pas de la certitude d'une issue favorable pour
le requérant. De même, "l'instance" dont parle cette disposition n'a pas besoin
d'être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties
qu'elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l'effectivité du
recours s'exerçant devant elle.
En outre, l'ensemble des recours
offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l'article 13, même si
aucun d'eux n'y répond en entier à lui seul"
Arrêt Loyen et autres contre France du
29/04/2003; Hudoc 4318; requête 55926/00: le fait qu'il n'y ait pas de
juridiction pour se plaindre de la durée non raisonnable d'un recours est une
violation de l'article 6§1 mais aussi de l'article 13 de la
Convention.
Arrêt Favre contre France du
02/03/2004; Hudoc 4944; requête 72313/01; la Cour constate le délai non
raisonnable d'une procédure administrative qui a duré 9 ans et 1 mois dont 5ans
et plus de 10 mois devant le tribunal administratif.
Elle examine, ensuite,
le grief sous l'angle de l'article 13 de la Convention:
"§34: Pour conclure en l'espèce à la
violation de l'article 13 de la Convention, il suffit à la Cour de constater
qu'en tout état de cause, à la date d'introduction de la requête, l'effectivité
"en pratique" et "en droit " du recours invoqué par le Gouvernement n'était pas
avérée"
Arrêt Mutimura contre France du
08/06/2004; Hudoc 5120; requête 46621/99; la Cour constate que le recours
en droit interne en matière de délai non raisonnable d'une procédure
d'accusation pénale n'était pas encore effectif au moment du dépôt de la
requête.
AFFAIRE GOUGET ET AUTRES c. FRANCE du 27 janvier 2006 Requête
no61059/00
"52. La
Cour relève que selon la jurisprudence de la Cour, l’article 13 garantit un
recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une
méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les
causes dans un délai raisonnable (Kudła,
précité, § 156), et que c’est à la date d’introduction de la requête que
l’« effectivité » du recours, au sens de l’article 13, doit être appréciée, à
l’instar de l’existence de voies de recours internes à épuiser au sens de
l’article 35 § 1, ces deux dispositions présentant « d’étroites affinités »
(Kudla, précité, § 152 ; Lutz c. France
(no 1), no 48215/99, § 20, 26 mars 2002). Or, à la date
d’introduction de la requête, le 4 mai 2002, l’effectivité « en pratique » et
« en droit » du recours en responsabilité de l’Etat pour fonctionnement
défectueux du service public de la justice n’était pas avérée (Lutz, précité, ibidem ; mutatis
mutandis Broca et Texier-Micault c
France, nos
27928/02 et 31694/02, §§ 21-23, 21 octobre 2003).
Partant, il y a eu
violation de l’article 13, combiné à l’article 6 § 1 de la
Convention."
AFFAIRE BARILLON c. FRANCE du 9 FEVRIER 2006, Requête
no 22897/02
"30. La Cour rappelle que
l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale
permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par
l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96,
CEDH 2000-XI) et que c’est à la date d’introduction de la requête que
l’« effectivité » du recours, au sens de l’article 13, doit être appréciée, à
l’instar de l’existence de voies de recours internes à épuiser au sens de
l’article 35 § 1, ces deux dispositions présentant « d’étroites affinités »
(cf. Kudla, précité, § 152 ; arrêt
Lutz c. France (no
1), no 48215/99, § 20, 26 mars 2002).
31. En conséquence, pour
conclure en l’espèce à la violation de l’article 13, il suffit à la Cour de
constater qu’en tout état de cause, à la date d’introduction de la requête,
l’effectivité « en pratique » et « en droit » du recours invoqué par le
Gouvernement n’était pas avérée (Lutz,
précité, ibidem, et, mutatis mutandis, Broca et
Texier-Micault, précité, §§ 21-23).
Partant, il y a eu violation de
l’article 13 de la Convention."
POUR
LES AUTRES VIOLATIONS CONSTATEES AU SENS DE L'ARTICLE 6§1, LA COUR CONSIDERE QUE
L'ARTICLE 13 EST ENGLOBE OU ABSORBE
LA
REGLE ET L'EXCEPTION:
En matière de
délai non raisonnable d'une procédure, les griefs de violation de
l'article 13 sont différents d'une violation constatée de l'article 6§1 de la
Convention; partant, la Cour doit les examiner sous l'angle de l'article 6§1
puis une seconde fois, au sens de l'article 13.
En toute autre
matière, les griefs de violation de l'article 13 sont "ABSORBES" par la
violation constatée de l'article 6§1 de la Convention, il n'y a donc pas lieu de
les examiner au sens de l'article 13.
Arrêt Ekin contre France du 17/07/2001;
Hudoc 4139; requête 39288/98:
"Eu égard à la conclusion formulée
au paragraphe 73 ci dessus ainsi qu'au raisonnement exposé aux paragraphes 60-62
ci-dessus, la Cour n'estime pas nécessaire d'examiner ce grief
séparément"
Arrêt Cordova contre Italie du
30/01/2003 Hudoc 4139; requête 40877/98; comme le droit d'accès à un
tribunal et les autres griefs sont déjà vu sous l'angle de l'article 6§1 de la
Convention; les griefs de l'article 13 en sont absorbés:
"Dès lors, la Cour estime qu'il n'y
a pas lieu d'examiner s'il y a eu violation de l'article 13 de la
Convention"
Arrêt Grisan contre Roumanie du
27/05/2003; Hudoc 4364; requête 42930/98:
"Lorsque le droit revendiqué est un
droit de caractère civil, l'article 6§1 constitue une "lex specialis" par
rapport à l'article 13, dont les garanties se trouvent en principe absorbées par
celle-ci.
Dès lors qu'elle a examiné le grief
du requérant sur le terrain de l'article 6§1 précité, elle n'estime pas
nécessaire en l'espèce de se placer de surcroît sur le terrain de l'article
13"
VIOLATION DE L'ARTICLE 13 COMBINE A
L'ARTICLE 3
GRANDE CHAMBRE STANEV C. BULGARIE
Requête 36760/06 du 17 janvier 2012
a) Principes
généraux
201. L’article 3 consacre l’une des valeurs
les plus fondamentales des sociétés démocratiques. Il prohibe en termes absolus
la torture et les traitements ou peines inhumains ou dégradants, quels que
soient les circonstances et les agissements de la victime (voir, parmi d’autres,
Kudła c. Pologne [GC], no
30210/96, § 90, CEDH 2000-XI, et Poltoratski c. Ukraine,
no 38812/97, § 130, CEDH 2003-V).
202. Pour tomber sous le coup de l’article 3,
un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum
est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause et
notamment de la nature et du contexte du traitement, de ses modalités
d’exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que,
parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (Kudła, précité, § 91, et
Poltoratski, précité, § 131).
203. La Cour a jugé un traitement
« inhumain » au motif notamment qu’il avait été appliqué avec préméditation
pendant des heures et qu’il avait causé soit des lésions corporelles soit de
vives souffrances physiques ou mentales (Labita
c. Italie [GC], no 26772/95, § 120, CEDH 2000-IV). Elle a par
ailleurs considéré qu’un traitement était « dégradant » en ce qu’il était de
nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et
d’infériorité propres à les humilier et à les avilir et à briser éventuellement
leur résistance physique ou morale, ou à les conduire à agir contre leur volonté
ou leur conscience (Jalloh
c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 68, CEDH 2006-IX). A cet
égard, la question de savoir si le but d’un traitement donné était d’humilier et
d’avilir la victime est un facteur à prendre en considération, même si l’absence
d’un tel but ne saurait exclure le constat de violation de l’article 3 (Peers
c. Grèce, no 28524/95, §§ 67, 68 et 74, CEDH 2001-III, et Kalachnikov c. Russie,
no 47095/99, § 95, CEDH 2002-VI).
204. La souffrance et l’humiliation infligées
doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une
forme donnée de traitement ou de peine légitimes. Les mesures privatives de
liberté s’accompagnent ordinairement de pareilles souffrance et humiliation.
Toutefois, on ne saurait considérer qu’une privation de liberté pose en soi un
problème sur le terrain de l’article 3 de la Convention. Cette disposition
impose cependant à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier soit détenu dans des
conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les
modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse
ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance
inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques d’une telle
mesure, la santé de l’intéressé est assurée de manière adéquate, notamment par
l’administration des soins médicaux requis (Kudła, précité, §§
92-94).
205. Lorsqu’il s’agit d’évaluer les
conditions d’une privation de liberté au regard de l’article 3 de la Convention,
il y a lieu de prendre en compte leurs effets cumulatifs et la durée de la
mesure (Kalachnikov, précité, §§ 95 et
102, Kehayov
c. Bulgarie, no 41035/98, § 64, 18 janvier 2005, et
Iovtchev c. Bulgarie, no 41211/98, § 127, 2 février 2006). A
cet égard, un facteur important à prendre en compte, outre les conditions
matérielles de détention, est le régime de détention. Pour apprécier si un
régime restrictif peut soulever un problème au regard de l’article 3 dans une
affaire donnée, il y a lieu d’avoir égard aux conditions particulières de
l’espèce, à la sévérité du régime, à sa durée, à l’objectif qu’il poursuit et à
ses effets sur la personne concernée (Kehayov,
précité, § 65).
b) Application de ces
principes en l’espèce
206. Dans la présente affaire, la Cour a déjà
constaté que le placement du requérant dans le foyer de Pastra, dont les
autorités internes doivent être tenues pour responsables, s’analyse en une
privation de liberté au sens de l’article 5 de la Convention (paragraphe 132
ci-dessus). Il s’ensuit que l’article 3 trouve à s’appliquer à la situation de
l’intéressé. En effet, cette disposition interdit les traitements inhumains et
dégradants des personnes qui se trouvent entre les mains des autorités. La Cour
tient à souligner que l’interdiction des mauvais traitements faite par l’article
3 s’applique de la même manière à toutes les formes de privation de liberté, et
notamment sans aucune différence fondée sur le but de la mesure incriminée ; en
effet, peu importe qu’il s’agisse d’une détention ordonnée dans le cadre d’une
procédure pénale ou d’un internement visant à protéger la vie ou la santé de
l’intéressé.
207. La Cour relève d’emblée que le
Gouvernement a indiqué que depuis fin 2009 le bâtiment habité par le requérant
avait été rénové, ce qui aurait entraîné une amélioration des conditions de vie
de l’intéressé (paragraphe 200 ci-dessus) ; celui-ci ne conteste pas ces
affirmations. Dès lors, la Cour estime que le grief du requérant doit être
compris comme se référant à la période allant de 2002 à 2009. Le Gouvernement ne
conteste pas que durant cette période les conditions de vie étaient celles
décrites par le requérant et admet que, pour des raisons économiques, elles
présentaient certaines déficiences (paragraphes 198-199
ci-dessus).
208. La Cour observe que, bien qu’il
partageât une chambre d’une surface de 16 m2 avec quatre autres
pensionnaires, le requérant disposait d’une grande liberté de circulation à la
fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement, ce qui est une
circonstance de nature à limiter les effets négatifs d’un espace de nuit
restreint (Valašinas
c. Lituanie, no 44558/98, § 103, CEDH
2001-VIII).
209. Néanmoins, d’autres aspects des
conditions matérielles de vie sont fort préoccupants. En particulier, il
apparaît que la nourriture n’était pas suffisante et était de mauvaise qualité.
Le bâtiment n’était pas suffisamment chauffé et, en hiver, le requérant devait
se coucher avec son manteau. Il pouvait prendre une douche une fois par semaine
dans une salle de bain insalubre et délabrée. Les toilettes étaient dans un état
déplorable et de plus, il était dangereux d’y accéder selon les constats du CPT
(paragraphes 21, 22, 23, 78 et 79 ci-dessus). Enfin, le foyer échangeait les
habits entre les pensionnaires après lavage (paragraphe 21 ci-dessus), ce qui
était de nature à créer un sentiment d’infériorité chez eux.
210. La Cour ne peut rester insensible au
fait que le requérant a été exposé à l’ensemble des conditions en question
pendant une durée considérable d’environ sept ans. Elle ne peut non plus ignorer
les conclusions du CPT qui, après avoir visité les lieux, a établi qu’à l’époque
pertinente les conditions de vie au foyer pouvaient être décrites comme
constituant un traitement inhumain et dégradant. Tout en ayant connaissance de
ces conclusions, dans la période de 2002 à 2009, le Gouvernement n’a pas donné
suite à son engagement de procéder à la fermeture de l’établissement (paragraphe
82 ci-dessus). La Cour considère que l’absence de ressources financières
invoquée par le Gouvernement ne constitue pas un argument pertinent pour
justifier le maintien du requérant dans les conditions de vie évoquées
(Poltoratski,
précité, § 148).
211. Elle tient néanmoins à préciser que rien
ne permet de penser que les autorités nationales avaient l’intention d’infliger
des traitements dégradants. Cependant, comme souligné plus haut (paragraphe 203
ci-dessus), l’absence d’un tel but ne saurait exclure de manière définitive le
constat de violation de l’article 3.
212. En conclusion, tout en notant les
améliorations qui ont, semble-t-il, été apportées au foyer de Pastra à partir de
fin 2009, la Cour estime que, considérées dans leur ensemble, les conditions de
vie auxquelles a été exposé le requérant pendant environ sept ans constituent un
traitement dégradant.
213. Dès lors, il y a eu violation de
l’article 3 de la Convention.
C. Sur le fond du
grief tiré de l’article 13 combiné avec l’article 3
217. La Cour rappelle sa jurisprudence
constante selon laquelle l’article 13 garantit l’existence de recours internes
permettant l’examen du contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention
et l’octroi d’un redressement approprié. Les Etats contractants jouissent d’une
certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations
que leur fait cette disposition. La portée de l’obligation découlant de
l’article 13 varie en fonction de la nature du grief que le requérant tire de la
Convention. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif »
en pratique comme en droit (McGlinchey
et autres c. Royaume-Uni,
no 50390/99, § 62, CEDH 2003-V).
218. Lorsque, comme en l’espèce, la Cour a
constaté une violation de l’article 3, une indemnisation pour le dommage moral
découlant de cette violation doit en principe être possible et faire partie du
régime de réparation mis en place (ibidem,
§ 63, et Iovtchev,
précité, § 143).
219. Dans le cas présent, la Cour relève
qu’il est vrai que l’article 1, alinéa 1, de la loi de 1988 sur la
responsabilité de l’Etat a été interprété par les juridictions internes comme
étant applicable aux préjudices subis par des détenus en milieu carcéral en
raison de mauvaises conditions de détention (paragraphes 63-64 ci-dessus).
Toutefois, selon le Gouvernement, le placement du requérant au foyer de Pastra
n’est pas considéré comme une détention en droit interne (paragraphes 108-111
ci-dessus). Dès lors, l’intéressé n’aurait pas pu obtenir réparation pour les
mauvaises conditions de vie dans ce foyer. D’ailleurs, il n’existe aucune
décision de justice selon laquelle cette disposition serait applicable aux
allégations relatives à des mauvaises conditions dans des foyers sociaux
(paragraphe 65 ci-dessus), et le Gouvernement n’a pas apporté d’arguments
prouvant le contraire. Au vu de ces éléments, la Cour est d’avis que ces recours
n’étaient pas effectifs au sens de l’article 13.
220. Dans la mesure où le Gouvernement
invoque la procédure de rétablissement de la capacité juridique (paragraphe 215
ci-dessus), la Cour observe qu’à supposer même que l’intéressé eût pu, grâce à
ce recours, recouvrer sa capacité juridique et quitter le foyer, aucune
réparation pour le traitement subi pendant la période de placement ne lui aurait
été octroyée. Dès lors, un tel recours n’assurait pas un redressement
approprié.
221. Il y a donc eu violation de l’article 13
de la Convention combiné avec l’article 3.
ARRÊT DE LA GRANDE CHAMBRE M.S.S
contre Grèce et Belgique requête 30696/09 du 21 janvier 2011
Contre la
Grèce
Il ne prête pas à controverse entre les
parties que la situation en Afghanistan a posé et continue de poser un problème
d’insécurité généralisée. Il appartient en premier lieu aux autorités grecques
d’apprécier ces risques dans le cadre de l’examen de la demande de l’intéressé.
La préoccupation essentielle de la Cour est de savoir s’il existe en l’espèce
des garanties effectives qui protégeaient le requérant contre un refoulement
arbitraire.
La législation grecque contient un certain
nombre de garanties visant à protéger les demandeurs d’asile contre un tel
refoulement ; toutefois, depuis plusieurs années, le HCR, le Commissaire
européen aux Droits de l’homme et de nombreuses organisations ont révélé, de
manière répétée et concordante, qu’elle n’était pas appliquée en pratique et que
la procédure d’asile était caractérisée par des défaillances structurelles
importantes, parmi lesquelles l’information insuffisante des demandeurs d’asile
sur les procédures à suivre, l’absence de système de communication fiable entre
les autorités et les intéressés, le manque de formation du personnel responsable
des entretiens individuels, une pénurie d’interprètes et un défaut d’assistance
judiciaire empêchant en pratique les demandeurs d’asile d’être accompagnés d’un
avocat. En conséquence, les candidats à l’asile ont très peu de chances de voir
leur demande examinée sérieusement. De fait, un rapport du HCR pour 2008 fait
état d’un taux de reconnaissance en première instance de moins de 0,1%, contre
un taux moyen de 36,2% dans cinq des six pays de l’UE qui, avec la Grèce,
reçoivent le plus grand nombre de demandes. Les organisations tierces
intervenantes ont régulièrement dénoncé les transferts forcés de demandeurs
d’asile de la Grèce vers des pays à haut risque.
La Cour n’est pas convaincue par l’argument
du gouvernement grec selon lequel l’inertie des autorités serait le fait du
requérant, qui ne s’est pas rendu à la préfecture de police dans le délai de
trois jours fixé dans l’avis qu’il avait reçu. Les rapports montrent que, comme
lui, de nombreux autres demandeurs d’asile ont cru que le seul but de la
convocation était de déclarer une adresse, ce qu’il ne pouvait pas faire,
n’ayant pas de domicile. A ce jour, les autorités n’ont laissé au requérant
aucune opportunité adéquate et réelle d’étayer sa demande.
En ce qui concerne la possibilité pour le
requérant de former devant le Conseil d’Etat grec un recours en annulation d’une
éventuelle décision de rejet de sa demande d’asile, la Cour considère que le
manquement des autorités à assurer la communication avec l’intéressé et la
difficulté qu’il y a à contacter une personne dont l’adresse n’est pas connue
rendent fort aléatoire la possibilité pour le requérant de suivre le résultat de
sa demande afin de ne pas laisser écouler le délai de recours. De plus,
l’intéressé, qui ne dispose à l’évidence pas des moyens pour rémunérer un
avocat, n’a pas reçu d’informations concernant l’accès aux organisations
proposant des conseils juridiques. A cela s’ajoute la pénurie d’avocats inscrits
sur la liste établie dans le système d’aide juridique, ce qui rend ledit système
inefficace en pratique. De surcroît, il ressort des informations communiquées
par le Commissaire aux Droits de l’homme – que le gouvernement grec n’a pas
contestées – que la durée moyenne des recours en annulation devant le Conseil
d’Etat est de plus de cinq ans, ce qui contribue à démontrer qu’un tel recours
n’est pas suffisamment accessible et ne remédie pas au défaut de garanties de la
procédure d’asile.
La Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3. Vu cette conclusion, elle estime par ailleurs qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs du requérant sous l’angle de l’article 13 combiné avec l’article 2.
Arrêt de la CEDH
294. Pour déterminer si l'article 13
s'applique en l'espèce,
la Cour doit donc rechercher si le requérant peut, de manière
défendable, faire valoir que son éloignement vers l'Afghanistan porterait
atteinte à l'article 2 ou à l'article 3 de la Convention.
295. Elle note que, lors de l'introduction de
sa requête, le requérant a produit, à l'appui de ses craintes en Afghanistan,
une copie des certificats attestant de ses fonctions d'interprète (paragraphe 31
ci-dessus). Elle a également à sa disposition des informations générales sur la
situation actuelle en Afghanistan ainsi que les lignes directrices sur
l'appréciation des besoins de protection internationale des demandeurs d'asile
en provenance d'Afghanistan publiées par le HCR et régulièrement mises à jour
(paragraphes 197-202 ci-dessus).
296. Pour la Cour, ces informations montrent
que prima
facie la situation en Afghanistan a posé et continue de poser un problème
d'insécurité généralisée et que le requérant appartient à une catégorie de la
population particulièrement exposée aux représailles de la part des forces
anti-gouvernementales du fait de ses fonctions d'interprète auprès des forces
aériennes internationales. Elle note au demeurant que la gravité de la situation
en Afghanistan et les risques qu'elle engendre ne sont pas controversés devant
la Cour. Au contraire, le Gouvernement grec a indiqué que sa politique actuelle
consistait à ne pas renvoyer de force des demandeurs d'asile vers ce pays,
précisément en raison de la situation à risque qui y régnait.
297. La Cour estime dès lors que le
requérant a un grief défendable sous l'angle de l'article 2 ou de l'article 3 de
la Convention.
298. Cela dit, dans la présente affaire, la
Cour n'a pas à se prononcer sur la violation de ces dispositions si le requérant
devait être expulsé. Il appartient en effet en premier lieu aux autorités
grecques, responsables en matière d'asile, d'examiner elles-mêmes la demande du
requérant ainsi que les documents produits par lui et d'évaluer les risques
qu'il encourt en Afghanistan. La préoccupation essentielle de la Cour est de
savoir s'il existe en l'espèce des garanties effectives qui protègent le
requérant contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers son pays
d'origine.
299. La Cour note que la législation grecque,
sur la base des normes de droit communautaire en matière de procédure d'asile,
contient un certain nombre de garanties visant à protéger les demandeurs d'asile
contre un refoulement vers le pays qu'ils ont fui sans un examen du bien-fondé
de leurs craintes (paragraphes 99-121 ci-dessus). Elle note que le Gouvernement
assure que la demande d'asile du requérant sera examinée conformément à la
loi.
300. La Cour observe toutefois que, depuis
plusieurs années, le HCR et le Commissaire européen aux Droits de l'Homme ainsi
que de nombreuses organisations internationales non gouvernementales ont mis à
jour, de manière répétée et concordante, le fait que la législation grecque
n'était pas appliquée en pratique, que la procédure d'asile était caractérisée
par des défaillances structurelles d'une ampleur telle que les demandeurs
d'asile ont fort peu de chances de voir leur demande et leurs griefs tirés de la
Convention sérieusement examinés par les autorités grecques et qu'en l'absence
de recours effectif ils ne sont pas protégés in
fine contre un renvoi arbitraire vers leur pays d'origine (paragraphes
160 et 173-195 ci-dessus).
301. La Cour note d'abord les carences liées
à l'accès aux procédures et à la procédure d'examen des demandes d'asile
(paragraphes 173-188 ci-dessus). A cet égard, elle relève l'information
insuffisante des demandeurs d'asile sur les procédures à suivre, les difficultés
d'accès aux bâtiments de la préfecture de police de l'Attique, l'absence de
système de communication fiable entre les autorités et les intéressés, la
pénurie d'interprètes et le manque d'expertise du personnel pour mener les
entretiens individuels, le défaut d'assistance judiciaire empêchant en pratique
les demandeurs d'asile d'être accompagnés d'un avocat ainsi que la longueur
excessive des délais pour obtenir une décision. Ces carences affectent tant les
demandeurs d'asile qui arrivent pour la première fois en Grèce que ceux qui sont
renvoyés en application du règlement « Dublin ».
302. La Cour trouve aussi préoccupants les
résultats des différentes enquêtes menées par le HCR qui montrent que les
décisions de première instance sont, dans la quasi-totalité des cas, négatives
et rédigées de manière stéréotypée sans spécifier les éléments motivant la
décision (paragraphe 184 ci-dessus). A cela s'ajoutent la suppression du rôle de
sauvegarde que jouaient les commissions d'avis sur les réfugiés en deuxième
instance et le retrait du HCR de la procédure d'asile (paragraphes 115 et 189
ci-dessus).
303. Le Gouvernement soutient qu'en tout état
de cause, les éventuelles défaillances de la procédure d'asile n'ont pas affecté
la situation personnelle du requérant.
304. La Cour constate à cet égard que le
requérant affirme n'avoir reçu aucune information sur les procédures à suivre.
Sans mettre en doute la bonne foi du Gouvernement quant au principe de la mise à
disposition de la brochure d'information à l'aéroport, la Cour attache plus de
poids à la version du requérant car elle est corroborée par de très nombreux
témoignages recueillis par le Commissaire et le HCR ainsi que par des
organisations non gouvernementales. Or, de l'avis de la Cour, le défaut d'accès
aux informations relatives aux procédures à suivre est à l'évidence un obstacle
majeur pour accéder à ces procédures.
305. Le Gouvernement reproche également au
requérant de ne pas avoir diligenté la procédure en ne se rendant pas, dans le
délai imparti par l'avis de notification, à la préfecture de police de
l'Attique.
306. Sur ce point, la Cour constate tout
d'abord que le délai de trois jours qui a été donné au requérant était très
court si l'on tient compte des difficultés d'accès aux bâtiments de la
préfecture de police.
307. Ensuite, force est de constater, ici
aussi, que la manière dont le requérant a compris la convocation est loin d'être
isolée et que de nombreux demandeurs d'asile ne se rendent pas à la préfecture
au motif qu'ils n'ont aucune adresse à déclarer.
308. De plus, quand bien même le requérant
aurait reçu la brochure d'information, la Cour partage l'avis de ce dernier
selon lequel ce document est particulièrement ambigu sur l'objet de la
convocation (paragraphe 112 ci-dessus) et qu'à aucun endroit il n'est précisé
que les demandeurs d'asile ont la possibilité de déclarer à la préfecture de
police de l'Attique qu'ils n'ont pas d'adresse en Grèce afin de recevoir les
informations par un autre canal.
309. Dans ces conditions, la Cour considère
que le Gouvernement est mal venu de s'attacher au non-respect de cette formalité
et qu'il lui appartenait d'assurer une voie de communication fiable avec le
requérant afin qu'il puisse effectivement poursuive la procédure.
310. La Cour constate ensuite que les parties
s'accordent pour dire que la demande d'asile du requérant n'a pas encore fait
l'objet d'un examen par les autorités grecques.
311. D'après le Gouvernement, cette situation
est, à ce jour, le fait du requérant qui ne s'est pas rendu le 2 juillet 2010 à
l'entretien devant la commission d'avis sur les réfugiés. Le Gouvernement n'a
pas éclairé la Cour quant aux conséquences de cette situation sur le déroulement
de la procédure interne. Quoi qu'il en soit, le requérant, par l'intermédiaire
de son conseil, a informé la Cour que cette convocation lui a été remise en
langue grecque à l'occasion du renouvellement de sa carte rose et que
l'interprète n'a fait aucune mention d'une quelconque date pour un entretien.
Sans être en mesure de vérifier l'exactitude des faits, la Cour accorde à
nouveau plus de poids à la version du requérant qui reflète le sérieux manque
d'information et de communication dont sont victimes les demandeurs
d'asile.
312. Dans ces conditions, la Cour ne partage
pas le point de vue du Gouvernement selon lequel le requérant n'a pas donné, de
son propre fait, l'occasion aux autorités nationales d'évaluer le bien-fondé de
ses griefs ni qu'il n'a pas eu à pâtir des défaillances de la procédure
d'asile.
313. La Cour conclut qu'à ce jour, les
autorités grecques n'ont encore pris aucune mesure visant à assurer la
communication avec le requérant et n'ont adopté aucune décision à son égard, ne
lui offrant aucune opportunité adéquate et réelle d'étayer sa demande. Qui plus
est, la Cour prend note du taux extrêmement bas de reconnaissance par les
autorités grecques du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire, comparé
aux autres pays de l'Union européenne (paragraphes 125-126 ci-dessus). Le poids
à accorder aux statistiques varie certes en fonction des circonstances mais de
l'avis de la Cour, en l'espèce, elles viennent renforcer l'argument du requérant
tiré de la perte de confiance dans la procédure d'asile.
314. La Cour n'est pas convaincue par les
explications fournies par le Gouvernement grec sur la politique de retours
organisés sur une base volontaire vers l'Afghanistan. Elle ne saurait en effet
faire abstraction du fait que des retours forcés par la Grèce vers des pays à
risque ont été régulièrement dénoncés par les tiers intervenants et plusieurs
des rapports consultés par la Cour (paragraphes 160, 192 et 282).
315. Au moins aussi préoccupants aux yeux de
la Cour sont les risques que le requérant encourt de
facto d'être refoulé avant toute décision sur le fond. Le requérant a
certes échappé, par application du décret présidentiel no 90/2008, à
une expulsion en août 2009 (paragraphes 43-48 et 120 ci-dessus). Toutefois, il
explique avoir échappé de justesse à une deuxième tentative par la police de
l'expulser vers la Turquie. Le fait que le requérant essayait dans les deux cas
de fuir la Grèce ne saurait être retenu contre lui quand il s'agit d'apprécier
la conduite des autorités grecques au regard de la Convention et alors qu'il
tentait de mettre fin à une situation sans perspective que la Cour juge
contraire à l'article 3 (paragraphes 263 et 264 ci-dessus).
316. La Cour doit ensuite examiner si, comme
le soutient le Gouvernement, le recours en annulation devant le Conseil d'Etat
d'une éventuelle décision de rejet de la demande d'asile du requérant pourrait
être considéré comme un filet de sécurité le protégeant contre un refoulement
arbitraire.
317. La Cour commence par observer que, comme
le fait valoir le Gouvernement, si le recours en annulation de la décision de
rejet de la demande d'asile n'a pas d'effet suspensif automatique, en revanche,
le dépôt d'un recours contre l'arrêté d'expulsion pris à la suite d'une décision
de rejet sursoit de plein droit à l'exécution de l'arrêté.
318. Toutefois, la Cour réaffirme que
l'accessibilité en pratique d'un recours est déterminante pour évaluer son
effectivité. Or, la Cour a déjà relevé que les autorités grecques n'ont pas pris
de disposition pour assurer la communication entre les autorités compétentes et
le requérant. Cette situation, combinée avec les dysfonctionnements de la
procédure de notification pour « les personnes de résidence inconnue », dénoncés
par le Commissaire européen aux Droits de l'Homme et le HCR (paragraphe 187
ci-dessus), rend fort aléatoire la possibilité pour le requérant de suivre le
résultat de sa demande afin de ne pas laisser expirer le délai de
recours.
319. De plus, le requérant, qui ne dispose à
l'évidence pas des moyens pour rémunérer un avocat, n'a pas reçu d'information
pour accéder à des organisations proposant des conseils et une orientation
juridique. A cela s'ajoute la pénurie d'avocats inscrits sur la liste établie
dans le cadre du système d'aide juridique (paragraphes 191 et 281 ci-dessus) qui
rend ledit système inefficace en pratique. Contrairement à ce que soutient le
Gouvernement, la Cour estime que cette situation peut être un obstacle de fait
de nature à entraver l'accès au recours et relève de l'article 13, en
particulier dans le cas des demandeurs d'asile.
320. Enfin, la Cour ne saurait pas non plus
considérer, comme le Gouvernement le suggère, que la longueur des procédures
devant le Conseil d'Etat n'entre pas en ligne de compte sous l'angle de
l'article 13. Outre qu'elle a déjà affirmé l'importance de la célérité des
procédures dans le cadre d'affaires concernant des mauvais traitements infligés
par des agents de l'Etat (paragraphe
293 ci-dessus), la Cour estime que cette célérité s'impose à plus forte
raison quand, comme en l'espèce, l'intéressé fait valoir un grief tiré de
l'article 3 en cas d'expulsion, qu'il ne dispose d'aucune garantie procédurale
de bénéficier en première instance d'un examen sérieux du bien-fondé de ce
grief, qu'il n'a statistiquement pratiquement aucune chance de bénéficier d'une
quelconque forme de protection et qu'il vit dans des conditions d'une précarité
telles que la Cour les juge contraires à l'article 3. Elle considère donc que
les informations fournies par le Commissaire européen aux Droits de l'Homme
(paragraphe 190 ci-dessus), non contredites par le Gouvernement, relatives à la
durée des procédures, contribuent à démontrer que le recours au Conseil d'Etat
ne permet pas de pallier l'absence de garanties au niveau de l'examen au fond
des demandes d'asile.
(c)
Conclusion
321. Au
vu de ce qui précède, les exceptions préliminaires soulevées par le Gouvernement
grec (paragraphe 283 ci-dessus) ne sauraient être accueillies et la Cour conclut
à une violation de l'article 13 de la Convention combiné avec l'article 3 en
raison des défaillances dans l'examen par les autorités grecques de la demande
d'asile du requérant et du risque encouru par celui-ci d'être refoulé
directement ou indirectement vers son pays d'origine, sans un examen sérieux du
bien-fondé de sa demande d'asile et sans avoir eu accès à un recours
effectif.
322.Vu
cette conclusion et les circonstances de l'affaire, la Cour estime qu'il n'y a
pas lieu d'examiner les griefs de l'intéressé sous l'angle de l'article 13
combiné avec l'article 2.
Contre la
Belgique
En ce qui concerne le grief tiré de
l’absence, en droit belge, de recours effectif par lequel le requérant aurait pu
contester l’ordre d’expulsion, le gouvernement belge faisait valoir qu’une
demande de suspension pouvait être introduite « en extrême urgence » devant le
Conseil du contentieux des étrangers, et que cette procédure suspendait
l’exécution de la mesure d’éloignement jusqu’à ce que le Conseil se prononce,
c’est-à-dire pendant soixante-douze heures au plus.
La Cour juge que cette procédure ne répond
pas aux critères établis dans sa jurisprudence, selon lesquels lorsqu’une
personne allègue que son renvoi vers un pays tiers l’exposerait à des
traitements prohibés par l’article 3, son grief doit faire l’objet d’un contrôle
attentif et rigoureux, et l’organe compétent doit pouvoir examiner le contenu du
grief et offrir le redressement approprié. Etant donné que l’examen réalisé par
le Conseil du contentieux des étrangers consiste essentiellement à vérifier si
les intéressés ont produit la preuve concrète du préjudice pouvant résulter de
la violation potentielle alléguée de l’article 3, le requérant n’avait aucune
chance de voir son recours aboutir. Il y a donc eu violation de l’article 13
combiné avec l’article 3. La Cour estime par ailleurs qu’il n’y a pas lieu
d’examiner les griefs du requérant sous l’angle de l’article 13 combiné avec
l’article 2.
Arrêt de la
CEDH
385. La
Cour a déjà conclu que l'expulsion du requérant vers la Grèce par les autorités
belges s'analysait en une violation de l'article 3 de la Convention (paragraphes
359 et 360 ci-dessus). Les griefs soulevés par le requérant sur ce point sont
dès lors « défendables » aux fins de l'article 13.
386. La
Cour constate tout d'abord qu'en droit belge le recours en annulation d'un ordre
d'expulsion porté devant le Conseil du contentieux des étrangers ne suspend pas
l'exécution de cette mesure. Toutefois, le Gouvernement fait valoir qu'une
demande de suspension peut être introduite « en extrême urgence » devant la même
juridiction et qu'à la différence de la procédure en extrême urgence qui
existait antérieurement devant le Conseil d'Etat, la procédure instaurée devant
le Conseil du contentieux des étrangers suspend de plein droit, en vertu de la
loi, l'exécution de la mesure d'éloignement jusqu'à ce que la juridiction se
prononce, c'est-à-dire pendant soixante-douze heures au
plus.
387. Tout
en reconnaissant qu'il s'agit là d'une évolution qui va dans le sens de l'arrêt
Čonka
précité (§§ 81-83, confirmé par l'arrêt Gebremedhin
précité, §§ 66-67), la Cour rappelle qu'il ressort également de la jurisprudence
(paragraphe 293 ci-dessus) que le grief d'une personne selon lequel son renvoi
vers un pays tiers l'exposerait à des traitements prohibés par l'article 3 de la
Convention doit faire l'objet d'un contrôle attentif et rigoureux et que la
conformité avec l'article 13 implique, sous réserve d'une certaine marge
d'appréciation des Etats, que l'organe compétent puisse examiner le contenu du
grief et offrir le redressement approprié.
388. Selon
la Cour, l'exigence résultant de l'article 13 de faire surseoir à l'exécution de
la mesure litigieuse ne peut être envisagée de manière accessoire, c'est-à-dire
en faisant abstraction de ces exigences quant à l'étendue du contrôle. Le
contraire reviendrait en effet à reconnaître aux Etats la faculté de procéder à
l'éloignement de l'intéressé sans avoir procédé à un examen aussi rigoureux que
possible des griefs tirés de l'article 3.
389. Or,
la procédure en extrême urgence aboutit précisément à ce résultat. Le
Gouvernement explique lui-même que cette procédure réduit à sa plus simple
expression l'exercice des droits de la défense et l'instruction de la cause. Les
arrêts dont la Cour a connaissance (paragraphes 144 et 148 ci-dessus) confirment
que l'examen des griefs tirés de l'article 3 auquel procédaient certaines
chambres du Conseil du contentieux des étrangers, à l'époque de l'expulsion du
requérant, n'était pas complet. En effet, celles-ci limitaient leur examen à
vérifier si les intéressés avaient produit la preuve concrète du caractère
irréparable du préjudice pouvant résulter de la violation potentielle alléguée
de l'article 3, alourdissant ainsi la charge de la preuve dans des proportions
telles qu'elles faisaient obstacle à un examen au fond du risque de violation
allégué. Qui plus est, quand bien même les intéressés tentaient, dans ce but, de
compléter leur dossier postérieurement à l'entretien avec l'Office des
étrangers, le Conseil du contentieux des étrangers ne prenait pas toujours ces
éléments en compte. Les intéressés se retrouvaient ainsi empêchés d'établir le
caractère défendable de leurs griefs tirés de l'article 3 de la
Convention.
390. La
Cour en conclut que la procédure de suspension en extrême urgence ne remplit pas
les exigences de l'article 13 de la Convention.
391. La
circonstance que quelques arrêts ont, contrairement à la jurisprudence établie à
l'époque, suspendu les transferts vers la Grèce (paragraphe 150 ci-dessus) ne
change rien à ce constat car ces suspensions faisaient suite, non pas à un
examen au fond du risque de violation de l'article 3 mais au constat, par le
Conseil du contentieux des étrangers, que l'Office des étrangers n'avait pas
suffisamment motivé ses décisions.
392. En
outre, la Cour constate que le requérant a également fait face à plusieurs
obstacles d'ordre pratique pour exercer les voies de recours invoquées par le
Gouvernement. Elle relève que sa demande de suspension en extrême urgence a été
rejetée pour un motif procédural, à savoir le défaut de comparution. Or,
contrairement à ce qu'allègue le Gouvernement, la Cour estime que dans les
circonstances de la cause, ce fait ne peut s'analyser comme la preuve d'un
manque de diligence de la part du requérant. Elle ne voit en effet pas comment
il aurait été matériellement possible pour son conseil de se rendre en temps
voulu au siège du Conseil du contentieux des étrangers. S'agissant de la
possibilité de faire appel à un service de permanence, la Cour relève en tout
état de cause que le Gouvernement n'a fourni aucun élément attestant de
l'existence d'un tel service en pratique.
393. Quant
à l'opportunité de poursuivre les recours en annulation de l'ordre de quitter le
territoire une fois le requérant éloigné, la Cour constate que le seul exemple
de jurisprudence donné par le Gouvernement sur ce point (paragraphes 151 et 382)
confirme la thèse du requérant selon laquelle une fois l'intéressé éloigné, le
Conseil du contentieux des étrangers déclare le recours irrecevable au motif
qu'il n'a plus d'intérêt à poursuivre l'annulation de l'ordre de quitter le
territoire. S'il est vrai que, dans cet arrêt, le Conseil du contentieux des
étrangers a procédé à un examen des griefs sous l'angle de l'article 3 de la
Convention, la Cour n'aperçoit pas comment, à défaut d'effet suspensif, la
juridiction pouvait encore offrir au requérant un redressement approprié, quand
bien même elle aurait conclu à une violation de l'article
3.
394. Au
surplus, la Cour note que les parties semblent s'accorder pour considérer que
les recours en annulation du requérant n'avaient aucune chance de succès, eu
égard à la jurisprudence constante, évoquée ci-dessus, du Conseil du contentieux
des étrangers et du Conseil d'Etat et à l'impossibilité pour le requérant de
démontrer in
concreto le caractère irréparable du préjudice entraîné par la violation
potentielle alléguée. La Cour rappelle que si l'effectivité d'un recours ne
dépend certes pas de la certitude d'avoir une issue favorable, l'absence de
toute perspective d'obtenir un redressement approprié pose problème sous l'angle
de l'article 13 (Kudla
précité, § 157).
395. Enfin,
la Cour souligne que les circonstances de la présente affaire la distinguent
très nettement de l'affaire Quraishi
invoquée par le Gouvernement. Dans cette dernière affaire dont les faits
remontent à 2006 et la procédure devant le Conseil du contentieux des étrangers
à 2007, soit quelques mois à peine après que celui-ci ait entamé ses activités,
les requérants avaient bénéficié de l'intervention des juridictions judiciaires
pour obtenir la suspension de leur expulsion. De plus, les requérants n'avaient
pas été expulsés quand la Cour a été amenée à statuer et, surtout, la
jurisprudence du Conseil du contentieux des étrangers n'était pas encore établie
dans les affaires « Dublin ».
396. La
Cour conclut qu'il y a eu violation de l'article 13 combiné avec l'article 3. Il
s'ensuit qu'il ne saurait être reproché au requérant de ne pas avoir
correctement épuisé les voies de recours internes et que l'exception
préliminaire de non-épuisement du Gouvernement belge (paragraphe 335 ci-dessus)
ne saurait être accueillie.
397. Vu
cette conclusion et les circonstances de l'affaire, la Cour estime qu'il n'y a
pas lieu d'examiner les griefs du requérant sous l'angle de l'article 13 combiné
avec l'article 2.
CONCERNANT LE
LUXEMBOURG:
ARRÊT CASSE c. LUXEMBOURG du 27 AVRIL 2006;
Requête no
40327/02:
"66. La Cour
rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance
nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation,
imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable
(voir Kudła c. Pologne [GC],
no 30210/96, § 156, CEDH 2000-XI) ; ce recours « doit être
« effectif » en pratique comme en droit » (voir Kudła, précité, § 157).
La Cour a
également décidé que « le recours indemnitaire invoqué par le Gouvernement ne
constituant pas une « voie de droit spécifique au travers de laquelle le
requérant aurait pu se plaindre de la durée de la procédure » (Kudła, précité, § 159), à défaut d’une
jurisprudence interne démontrant l’efficacité de ce recours dans ce contexte
précis, son effectivité « en pratique » et « en droit » ne serait pas établie »
(Lutz c. France (no 1),
no 48215/99, § 20, 26 mars 2002).
A cet égard, la
Cour, se rapportant à ses développements produits sous le paragraphe 38,
rappelle que les décisions produites en premier lieu par le Gouvernement – dans
lesquelles des magistrats prononcèrent, au vu de la durée de procédures pénales,
une atténuation de la peine des prévenus concernés – ne sauraient
raisonnablement être prises en considération en l’espèce.
Ensuite, dans la
mesure où le Gouvernement renvoie à une décision du 18 mai 2004, dans laquelle
les juges luxembourgeois analysèrent la question de savoir si les autorités
judiciaires avaient instruit une plainte déposée contre la personne concernée
dans un délai raisonnable, la Cour rappelle que ce jugement – émanant d’une
juridiction de première instance et ne constituant pas un précédent
jurisprudentiel qui aurait accueilli favorablement une demande en indemnisation
présentée pour dépassement d’un délai raisonnable – est postérieur à la date
d’introduction de la requête (voir paragraphe 39 ci-dessus). Or, c’est à cette
date que l’« effectivité » du recours au sens de l’article 13 doit être
appréciée, à l’instar de l’existence de voies de recours internes à épuiser au
sens de l’article 35 § 1, ces deux dispositions présentant « d’étroites
affinités » (Kudła, précité, § 152 ; Lutz, précité, § 20).
67. La Cour ne
saurait raisonnablement spéculer sur la question de savoir si, à l’avenir, le
recours mis en avant par le Gouvernement sera à considérer comme effectif au
regard des critères posés par l’article 13 de la Convention. Toujours est-il
que, pour conclure en l’espèce à la violation de l’article 13 de la Convention,
il suffit à la Cour de constater qu’en tout état de cause, à la date
d’introduction de la requête, l’effectivité « en pratique » et « en droit » du
recours invoqué par le Gouvernement n’était pas avérée.
68. Partant, il y
a eu violation de l’article 13 de la Convention."
AFFAIRE PEREIRA HENRIQUES c. LUXEMBOURG du 9 mai 2006 Requête no
60255/00
"86. La
Cour réaffirme que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit
interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la
Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition a donc
pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant l’instance nationale
compétente à connaître du contenu d’un « grief défendable » fondé sur la
Convention et offrir le redressement approprié, même si les Etats contractants
jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer
aux obligations que leur fait cette disposition. La portée de l’obligation
découlant de l’article 13 varie en fonction de la nature du grief que le
requérant fonde sur la Convention. Toutefois, le recours exigé par l’article 13
doit être « effectif » en pratique comme en droit, en ce sens particulièrement
que son exercice ne doit pas être entravé de manière injustifiée par les actes
ou omissions des autorités de l’Etat défendeur (voir, parmi d’autres, Kaya c. Turquie, arrêt du 19 février
1998, Recueil 1998-I, pp. 329-330,
§ 106).
87. Vu
l’importance fondamentale du droit à la protection de la vie, l’article 13
impose, outre le versement d’une indemnité là où il convient, des investigations
approfondies et effectives propres à conduire à l’identification et à la
punition des responsables de la mort et comportant un accès effectif du
plaignant à la procédure d’enquête (Kaya, précité, pp. 330-331, §
107).
88. La
Cour se doit d’observer que la présente affaire concerne un accident du travail
impliquant un employeur privé. Aussi, dans sa décision du 26 août 2003, la Cour
a-t-elle déclaré irrecevable le grief des requérants tiré de l’article 2 de la
Convention, selon lequel l’Etat aurait manqué à son obligation positive
d’assurer le droit à la vie de M. Coimbra Henriques. En conséquence, le grief des requérants ne saurait
passer pour « défendable » aux fins de l’article 13 à cet
égard.
89. Par ailleurs, la Cour rappelle
que le grief tiré de l’article 2 de la Convention qui fut déclaré recevable et
qui amena à un constat de violation (voir paragraphes 58 à 63 ci-dessus) se
limite à une allégation d’inefficacité de l’enquête sur les circonstances du
décès de M. Coimbra Henriques. Par conséquent, dans la mesure où,
dans le cadre du présent grief, les requérants dénoncent de manière analogue
l’absence d’un mécanisme d’enquête efficace, la Cour estime que ce grief a déjà
été traité dans le contexte de l’article 2. Il s’ensuit qu’aucune question
séparée ne se pose, à cet égard, sous l’angle de l’article 13 de la
Convention.
90. En revanche, se pose sous
l’angle de l’article 13 la question, liée au grief déclaré recevable au titre de
l’article 2, de savoir si le droit luxembourgeois prévoit un recours effectif
pour se plaindre de l’inefficacité de l’enquête et obtenir un dédommagement à
cet égard. La Cour estime que l’argument du Gouvernement, selon lequel les
requérants auraient pu se constituer partie civile pour s’assurer de ce qu’une
enquête effective soit menée, ne saurait raisonnablement être pris en compte. En
effet, le simple fait que les autorités aient été informées du décès
donnait ipso facto naissance à
l’obligation, découlant de l’article 2, de mener une enquête efficace sur les
circonstances dans lesquelles il s’était produit (voir, mutatis mutandis, les arrêts Ergi c. Turquie du 28 juillet 1998,
Recueil 1998-IV, p. 1778, § 82 ;
Yaşa c. Turquie du 2 septembre
1998, Recueil 1998-IV, p. 2438, §
100, et Abdurrahman Orak c.
Turquie, no 31889/96, § 82, 14 février 2002) sans nécessité
pour les requérants d’entamer une quelconque démarche. En tout état de cause, la
Cour a d’ores et déjà conclu que l’enquête n’avait pas été effective en
l’espèce.
91. Etant donné que le Gouvernement n’a pas établi que les
requérants auraient disposé d’une voie de recours effective pour obtenir un
dédommagement à l’issue de l’enquête inefficace, la Cour estime qu’il y a eu
violation de l’article 13 de la Convention à cet égard."
CONCERNANT LA
BELGIQUE:
Arrêt Sablon contre Belgique du
10/04/2001; Hudoc 2491; requête 36445/97, la Belgique a échappé à
la condamnation pour violation de l'article 13.
La Cour a constaté qu'elle était
liée par la décision de recevabilité dans laquelle, le grief n'avait pas été
considéré sous l'angle de l'article 13 de la Convention.
Elle ne pouvait donc pas l'examiner
sous cet angle.
CONCERNANT LA SUISSE:
Arrêt Athanassoglou et autres contre
Suisse du 06/04/2000; Hudoc 1474; requête 27644/95, la Suisse a échappé à
la condamnation car le lien entre les griefs des requérant et les droits de la
Convention ont été jugés trop lointains:
"Selon la jurisprudence constante de
la Cour, l'article 13 exige un recours pour les seules plaintes que l'on peut
estimer "défendables" au regard de la Convention ()
Tel que les requérants le
présentent, leur grief sur le terrain de l'article 13, à l'instar de celui tiré
de l'article 6§1 porte sur l'absence en droit suisse, d'un recours judiciaire
pour contester la décision du Conseil fédéral.
La Cour a estimé que le lien entre
cette décision et les droits à la protection de la vie; de l'intégrité physique
et de la propriété reconnus par le droit interne et revendiqués par les
requérants était trop ténu et lointain pour appeler l'application de l'article
6§1.
Les raisons de ce constat amènent
également à conclure du fait d'un lien trop lointain que les requérants n'ont
démontré, quant à la décision du Conseil d'Etat en tant que telle, l'existence
d'aucun grief défendable de violation de l'article 2 et 8 de la Convention et,
en conséquence, d'aucun droit à un recours au titre de l'article
13.
En résumé, () la Cour estime que
l'article 13 ne trouve pas à s'appliquer"
CONCERNANT LA FRANCE:
Arrêt Kervoëlen contre France du
27/03/2001; Hudoc 2470; requête 35585/97, la France a échappé à la
condamnation pour violation de l'article 13.
La requérante n'a pas contesté une
décision d'un substitut d'un procureur sur la validité de sa licence IV de
débitant de boissons:
"Compte tenu de ces éléments, le
communications du procureur en date du 03/09/94 et du 04/10/94 ne peuvent être
analysées comme des "décisions" mais comme de simples avertissements, mettant
l'exploitant en garde sur les risques d'une réouverture du délit, en
connaissance de cause, qui constituerait une ouverture illicite susceptible
d'être sanctionnée en application de l'article L42 du Code des débits de
Boissons.
Eu égard à ce qui précède, la simple
constatation par le procureur de la péremption de la licence de la requérante
ne saurait passer pour avoir " décidé" du droit de la requérante au maintien de
la licence, aux fins de l'article 6§1.
La Cour en conclut que la cause de
la requérante n'était pas de nature à faire jouer l'article 6§1
()
La Cour a estimé que la constatation
de la péremption de la licence de la requérante n'appelait pas l'application de
l'article 6§1. Les raisons de ce constat amènent également à conclure à
l'inexistence d'un grief défendable au sens de la Convention et, en conséquence,
à l'absence de droit à un recours au titre de l'article 13"
L'AFFAIRE DU TERRORISTE
CARLOS
Arrêt Ramirez Sanchez contre France du
27/01/2005; requête 59450/00:
La CEDH a sanctionné
une erreur juridique commise par le Tribunal Administratif quand à
l'appréciation de sa compétence. Cet arrêt a fait l'objet d'un appel devant la
Grande Chambre qui a confirmé la présente décision dans un arrêt du 4 juillet
2006 exposé après le présent:
127. La Cour l’a dit à de nombreuses reprises, l’article 13
de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant
de s’y prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y
trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours
interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la
Convention et à offrir le redressement approprié (voir, parmi beaucoup d’autres,
l’arrêt Kudla c. Pologne, précité, § 157).
128. La portée de l’obligation
que l’article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la
nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit
être « effectif » en fait comme en droit (par exemple, arrêt İlhan c.
Turquie [GC], no 22277/93, § 97, CEDH 2000-VII).
129. L’« effectivité » d’un
« recours » au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue
favorable pour le requérant. De même, l’« instance » dont parle cette
disposition n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors, si tel
n’est pas le cas, ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en
ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle.
En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les
exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul
(voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Silver et autres c. Royaume-Uni du 25
mars 1983, série A no 61, p. 42, § 113, et Chahal c. Royaume-Uni du
15 novembre 1996, Recueil 1996-V, pp. 1869-1870, § 145).
130. Il reste à la Cour à
déterminer si le requérant disposait en droit français de moyens pour se
plaindre des prolongations de son maintien à l’isolement et d’irrégularités
éventuellement commises à cette occasion et si ces moyens étaient « effectifs »
en ce sens qu’ils auraient pu empêcher la survenance ou la continuation de la
violation alléguée ou auraient pu fournir à l’intéressé un redressement
approprié pour toute violation s’étant déjà produite.
131. Le Gouvernement a convenu du
fait que, selon une jurisprudence constante du Conseil d’Etat, les mises à
l’isolement étaient assimilées à des mesures d’ordre intérieur insusceptibles de
recours devant les juridictions administratives.
132. Le requérant a formé un
recours devant le tribunal administratif le 14 septembre 1996 mais par jugement
du 25 novembre 1998, le tribunal l’a rejeté en rappelant qu’il s’agissait d’une
mesure intérieure non susceptible d’être déférée au juge
administratif.
133. La Cour note sur ce point
que cette décision était conforme à la jurisprudence constante du Conseil d’Etat
citée par le Gouvernement lui-même à l’époque des faits.
134. C’est par un arrêt du 30
juillet 2003 que le Conseil d’Etat a modifié sa jurisprudence et établi qu’une
mesure de mise à l’isolement pouvait être déférée devant le juge administratif
dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir.
135. Dès lors, la Cour estime
qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 13 de la Convention à raison de
l’absence en droit interne d’un recours qui eût permis au requérant de contester
les mesures de prolongation de mise à l’isolement.
Arrêt de la Grande
Chambre Ramirez Sanchez contre France du 04/07/2005; requête 59450/00:
La violation de
l'article 13 de la Convention est confirmée:
"157. La Cour l’a dit à de nombreuses reprises, l’article 13 de la
Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y
prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y
trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours
interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la
Convention et à offrir le redressement approprié (voir, parmi beaucoup d’autres,
Kudła, précité,
§ 157).
158. La portée de
l’obligation que l’article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en
fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par
l’article 13 doit être « effectif » en fait comme en droit (voir, par exemple,
l’arrêt İlhan c.
Turquie [GC], no 22277/93, § 97, CEDH
2000-VII).
159. L’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 ne
dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même,
l’« instance » dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une
institution judiciaire, mais alors, si tel n’est pas le cas, ses pouvoirs et les
garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier
l’effectivité du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des
recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13,
même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (voir, parmi beaucoup
d’autres, les arrêts Silver et autres c. Royaume-Uni du 25 mars 1983,
série A no 61, p. 42, § 113, et Chahal, précité, § 145).
160. Il reste à
la Cour à déterminer si le requérant disposait en droit français de moyens pour
se plaindre des prolongations de son maintien à l’isolement et d’irrégularités
éventuellement commises à cette occasion et si ces moyens étaient « effectifs »
en ce sens qu’ils auraient pu empêcher la survenance ou la continuation de la
violation alléguée ou auraient pu fournir à l’intéressé un redressement
approprié pour toute violation s’étant déjà produite.
161. Le
Gouvernement a admis que, selon une jurisprudence constante du Conseil d’Etat
jusqu’au 30 juillet 2003, les mises à l’isolement étaient assimilées, à des
mesures d’ordre intérieur insusceptibles de recours devant les juridictions
administratives.
162. Le requérant
a formé un recours devant le tribunal administratif le 14 septembre 1996 mais
par jugement du 25 novembre 1998, le tribunal l’a rejeté en rappelant qu’il
s’agissait d’une mesure intérieure non susceptible d’être déférée au juge
administratif.
163. La Cour note
sur ce point que cette décision était conforme à la jurisprudence constante du
Conseil d’Etat à l’époque des faits, citée par le Gouvernement
lui-même.
164. C’est par un
arrêt du 30 juillet 2003 que le Conseil d’Etat a modifié sa jurisprudence et
établi qu’une mesure de mise à l’isolement pouvait être déférée devant le juge
administratif, et le cas échéant annulée, dans le cadre d’un recours pour excès
de pouvoir.
165. La Cour
relève que le requérant a saisi la juridiction administrative d’un seul recours
depuis ce revirement de jurisprudence. Il est vrai qu’il a contesté uniquement
la légalité formelle de la mesure prise à son encontre le 17 février 2005.
Néanmoins, elle est d’avis que, compte tenu de l’importance des répercussions
d’une mise à l’isolement prolongée pour un détenu, un recours effectif
permettant à celui-ci de contester aussi bien la forme que le fond, et donc les
motifs, d’une telle mesure devant une instance juridictionnelle est
indispensable. Le changement de jurisprudence mentionné ci-dessus, dont il
serait souhaitable qu’il soit mieux connu, n’a en tout cas pas d’effet
rétroactif et n’a pu avoir d’incidence sur la situation du
requérant.
166. Dès lors, la
Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 13 de la Convention
à raison de l’absence en droit interne d’un recours qui eût permis au requérant
de contester les mesures de prolongation de mise à l’isolement prises entre le
15 août 1994 et le 17 octobre 2002."
ARRET KHIDER CONTRE FRANCE DU 9 JUILLET 2009 Requête n°
39364/05
L'arrêt Ramirez Carlos est
confirmé pour les conditions de détentions de Khider jugées inhumaines et
dégradantes au sens de l'article 3 de la Convention.
"138. La Cour rappelle que l'article
13 de la Convention garantit l'existence en droit interne d'un recours
permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu'ils
peuvent s'y trouver consacrés ; cette disposition a donc pour conséquence
d'exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d'un « grief
défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement. La portée de
l'obligation que l'article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en
fonction de la nature du grief du requérant ; toutefois, le recours exigé par
l'article 13 doit toujours être « effectif » en pratique comme en droit.
L'« effectivité » d'un « recours » au sens de l'article 13 ne dépend pas de la
certitude d'une issue favorable pour le requérant. En outre, l'ensemble des
recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l'article 13,
même si aucun d'eux n'y répond en entier à lui seul (voir, parmi de nombreux
autres, les arrêts Čonka
c. Belgique du 5 février 2002, no 51564/99, CEDH 2002-I, §§
75-76, et Ramirez
Sanchez précité, § 157-159).
139. La Cour rappelle qu'elle a conclu
que l'effet combiné des mesures telles que les transferts répétés, les
placements à l'isolement et les fouilles corporelles dans le cas du requérant a
entraîné la violation de l'article 3 de la Convention (paragraphe 127
ci-dessus). Les griefs de celui-ci constituent donc des « griefs défendables »
au sens de l'article 13.
140. En ce qui concerne les placements
à l'isolement, la Cour rappelle que par un arrêt du 30 juillet 2003, le Conseil
d'Etat a jugé que ces mesures étaient susceptibles de faire l'objet d'un recours
pour excès de pouvoir (paragraphe 56 ci-dessus). En l'espèce, le requérant a
fait usage de cette possibilité et a aussi introduit de nombreux recours en
référé. Si le juge de référé a rejeté ces derniers, en revanche, les 17 mars
2005 et 15 mars 2007, le tribunal administratif de Paris a annulé ces mesures.
La Cour relève donc qu'en matière de mise à l'isolement, le requérant disposait
d'un « recours effectif » au sens de l'article 13 de la
Convention.
141. Quant aux transfèrements répétés,
la Cour rappelle que le 20 octobre 2003, le ministre de la Justice a adopté une
note de service, intitulée « Note relative à la gestion des détenus les plus
dangereux incarcérés dans les maisons d'arrêt », instituant un régime de
rotation de sécurité.
142. Le requérant a fourni plusieurs
décisions de juridictions administratives déboutant des détenus qui avaient
contesté leurs transferts en cascade ou jugeant que ces transferts constituaient
des mesures d'ordre intérieur : jugement du tribunal administratif de Dijon du 3
juin 2003 (Salem Azaiza c. ministre de la Justice), ordonnance de référé du
tribunal administratif de Toulouse du 10 avril 2006 (Alboréo), ordonnance du
juge des référés du tribunal administratif de Paris du 25 mai 2007 (Pascal
Payet).
143. La Cour considère que
l'efficacité du recours cité par le Gouvernement dans le cas des transfèrements
du requérant pendant la période de son incarcération n'est pas établie. En
effet, c'est par un arrêt du 14 décembre 2007 que le Conseil d'Etat a admis
qu'une décision soumettant un détenu à un régime de sécurité ne constituait pas
une mesure d'ordre intérieur mais une décision administrative susceptible de
recours pour excès de pouvoir. De plus, ce n'est que le 29 février 2008 que le
Conseil d'Etat a annulé la circulaire instituant le régime de
sécurité.
144. S'agissant des fouilles
corporelles, la Cour note que le grief du requérant sous l'angle de l'article 13
concerne la fréquence des fouilles qu'il subissait. Le seul exemple
jurisprudentiel cité par le Gouvernement est relatif à un placement fautif au
quartier disciplinaire d'un détenu suite à une fouille intégrale en présence de
codétenus que le tribunal administratif en 2006 a qualifié d'irrégulière et
d'humiliante. En revanche, le requérant produit une ordonnance du président du
tribunal administratif de Nantes, en date du 18 juin 2008, aux termes de
laquelle la décision de fouiller un détenu prise sur le fondement de l'article
D.275 du code de procédure pénale ne présentait pas le caractère d'une décision
susceptible de recours. Il n'est donc pas établi qu'il existait en droit interne
un recours pour contester la décision de procéder à une fouille corporelle.
Quant au déroulement de la fouille intégrale du 30 juin 2004, il disposait d'un
recours qu'il a du reste utilisé : la plainte avec constitution de partie civile
pour agression sexuelle.
145. La Cour en déduit que le
requérant n'a pas disposé des « recours effectifs » pour faire valoir ses griefs
tirés de l'article 3 de la Convention, à savoir les transfèrements répétés et
les fouilles corporelles fréquentes. Il y a donc eu violation de l'article 13 de
la Convention combiné avec cette disposition."
Arrêt
SCHEMKAMPER c. FRANCE du 18 octobre 2005 Requête no
75833/01:
"37. Le requérant
se plaint de n’avoir pas disposé d’un recours contre l’ordonnance lui refusant
une permission de sortir en violation de l’article 13 de la Convention, ainsi
libellé :
« Toute personne
dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a
droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même
que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice
de leurs fonctions officielles. »
38. Le
Gouvernement soutient qu’à supposer même que le grief précédent soit défendable,
le requérant disposait devant le juge de l’application des peines d’un recours
satisfaisant aux exigences de l’article 13 de la Convention. Il affirme que
l’ingérence en l’espèce est la condamnation à une peine privative de liberté
prononcée par la cour d’assises des Bouches du Rhône et considère à cet égard la
demande de permission de sortir devant le juge de l’application des peines comme
un recours pour atténuer les effets de l’ingérence. C’est ce recours qui doit
être examiné au regard de l’article 13 de la Convention. La décision du juge de
l’application des peines, si elle ne peut être considérée comme une décision
judiciaire au sens strict du terme, est prise par un magistrat présentant les
garanties d’indépendance et d’impartialité. Par ailleurs, les formes prescrites
pour statuer sur une demande de permission de sortir fournissent des garanties
supplémentaires et notamment celle de prendre l’avis de la commission
consultative des peines. Le Gouvernement en conclut que le requérant a disposé
et exercé un recours satisfaisant aux exigences de l’article 13 de la
Convention.
39. La Cour l’a
dit à de nombreuses reprises, l’article 13 de la Convention garantit l’existence
en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir des droits et libertés
de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition a
donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le
contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le
redressement approprié (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Kudla c. Pologne [GC],
no 30210/96, § 157, CEDH 2000-XI).
40. La portée de
l’obligation que l’article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en
fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par
l’article 13 doit être « effectif » en fait comme en droit (par exemple, arrêt
İlhan c. Turquie
[GC], no 22277/93, § 97, CEDH 2000-VII).
41. L’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 ne
dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même,
l’« instance » dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une
institution judiciaire, mais alors, si tel n’est pas le cas, ses pouvoirs et les
garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier
l’effectivité du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des
recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13,
même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (voir, parmi beaucoup
d’autres, les arrêts Silver et autres c. Royaume-Uni du 25 mars 1983,
série A no 61, p. 42, § 113, et Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, pp.
1869-1870, § 145).
42. Il reste à la
Cour à déterminer si le requérant disposait en droit français de moyens pour se
plaindre du refus litigieux de sortie exceptionnelle et si ces moyens étaient
« effectifs » en ce sens qu’ils auraient pu empêcher la survenance ou la
continuation de la violation alléguée ou auraient pu fournir à l’intéressé un
redressement approprié pour toute violation s’étant déjà
produite.
43. La Cour
observe qu’à l’époque des faits, soit avant la juridictionnalisation complète
des décisions du juge de l’application des peines opérée par la loi du 9 mars
2004 (paragraphe 18 ci-dessus), les ordonnances rendues par celui-ci en matière
de permissions de sortir étaient qualifiées par la loi elle-même de mesures
d’administration judiciaire et ne pouvaient faire l’objet d’un recours devant le
tribunal correctionnel que de la part du Procureur de la République (paragraphe
17 ci-dessus).
44. Dès lors, la
Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 13 de la Convention
à raison de l’absence en droit interne d’un recours qui eût permis au requérant
de contester le refus de permission de sortir litigieux."
ARRÊT PAYET contre FRANCE REQUÊTE 19606/08 DU
20 JANVIER 2011
La Cour examine si les moyens dont le
requérant disposait en droit français pour se plaindre de ses conditions de
détention en cellule disciplinaire étaient « effectifs » c'est-à-dire
susceptibles d’empêcher la survenance ou la continuation de la violation
alléguée.
Elle observe que le recours prévu par le
code de procédure pénale n’est pas suspensif, alors même que la mise en cellule
disciplinaire est généralement immédiate et note que le tribunal administratif
ne peut être saisi qu’après saisie du directeur interrégional des services
pénitentiaires. En raison de cette procédure, le requérant n’était plus en
cellule disciplinaire quand un juge était enfin en mesure de statuer sur sa
demande.
Eu égard à l’importance des répercussions d’une détention en cellule disciplinaire, il est indispensable que le détenu bénéficie d’un recours effectif lui permettant de contester aussi bien la forme que le fond d’une telle mesure devant une instance juridictionnelle. Le requérant n’ayant pas bénéficié d’un tel recours, la Cour conclut à la violation de l’article 13.
COUR DE CASSATION Chambre Criminelle arrêt du 16 mars 2011 N° POURVOI 10-85885 REJET
Sur le moyen unique de cassation, pris de
la violation des articles 132-44 du code pénal et 712-8 du code de procédure
pénale
Attendu qu'il résulte de l'arrêt et des pièces de procédure que Mme X..., épouse Y..., condamnée le 5 janvier 2010, par le tribunal de Villefranche-sur-Saône, pour abus de confiance, faux et usage, à un an d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant deux ans, a saisi, le 4 juin 2010, le juge de l'application des peines, en application des dispositions de l'article 132-44, 5°, du code pénal, afin qu'il l'autorise à effectuer un déplacement et un séjour à l'étranger pour maintenir les liens avec sa famille ; qu'elle a interjeté appel de l'ordonnance ayant refusé de faire droit à sa demande
Attendu que le procureur général a excipé de l'irrecevabilité de l'appel au motif que le rejet de la demande d'autorisation ne constituait pas une décision refusant de modifier une mesure de mise à l'épreuve ou une obligation résultant de cette mesure au sens de l'article 712-8 du code de procédure pénale
Attendu que, pour écarter cette argumentation, déclarer l'appel recevable et accorder cette autorisation, le président de la chambre de l'application des peines énonce que l'absence de recours contre un refus d'autorisation de déplacement à l'étranger fondé sur le maintien des liens familiaux priverait la condamnée de la possibilité de contester cette atteinte et méconnaîtrait son droit à un recours effectif garanti par l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme
Attendu qu'en statuant ainsi, le président de la chambre de l'application des peines a justifié sa décision au regard de la Convention européenne des droits de l'homme et notamment de son article 13
Attendu qu'il résulte de l'arrêt et des pièces de procédure que Mme X..., épouse Y..., condamnée le 5 janvier 2010, par le tribunal de Villefranche-sur-Saône, pour abus de confiance, faux et usage, à un an d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant deux ans, a saisi, le 4 juin 2010, le juge de l'application des peines, en application des dispositions de l'article 132-44, 5°, du code pénal, afin qu'il l'autorise à effectuer un déplacement et un séjour à l'étranger pour maintenir les liens avec sa famille ; qu'elle a interjeté appel de l'ordonnance ayant refusé de faire droit à sa demande
Attendu que le procureur général a excipé de l'irrecevabilité de l'appel au motif que le rejet de la demande d'autorisation ne constituait pas une décision refusant de modifier une mesure de mise à l'épreuve ou une obligation résultant de cette mesure au sens de l'article 712-8 du code de procédure pénale
Attendu que, pour écarter cette argumentation, déclarer l'appel recevable et accorder cette autorisation, le président de la chambre de l'application des peines énonce que l'absence de recours contre un refus d'autorisation de déplacement à l'étranger fondé sur le maintien des liens familiaux priverait la condamnée de la possibilité de contester cette atteinte et méconnaîtrait son droit à un recours effectif garanti par l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme
Attendu qu'en statuant ainsi, le président de la chambre de l'application des peines a justifié sa décision au regard de la Convention européenne des droits de l'homme et notamment de son article 13
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