L’exigence d’un procès équitable implique qu’en matière disciplinaire la
personne poursuivie ou son avocat soit entendu à l’audience et puisse avoir la
parole en dernier, et que mention en soit faite dans la
décision.
Dans cet arrêt rendu au visa de l’article 6
§ 1er de la Convention européenne des droits de l’homme, la
première chambre civile de la Cour de cassation veille à ce que l’adage
populaire selon lequel le cordonnier est le plus mal chaussé ne se vérifie pas
en matière de procès équitable. En effet, le demandeur au pourvoi est un avocat
poursuivi dans le cadre d’une procédure disciplinaire, qui invoque une atteinte
à ses droits de la défense.
En l’espèce, il avait été condamné à la plus lourde sanction pouvant
être prononcée par le Conseil de discipline des barreaux, la radiation, qui
implique l’interdiction définitive de l’exercice de la profession d’avocat tant
dans le barreau d’origine que dans tout autre barreau. Cette peine intervient à
la suite d’une procédure disciplinaire engagée pour une série de manquements
graves de nature à discréditer la profession d’avocat commis par le demandeur au
pourvoi (manquements à l’obligation de délicatesse, de loyauté et de probité, à
l’obligation de diligence et de dévouement dans certains dossiers etc.). Le
requérant reproche notamment à l’arrêt confirmatif rendu par la cour d’appel de
Lyon, d’avoir prononcé la radiation sans qu’il ressorte de ses mentions que
celui-ci ait pu prendre la parole en dernier.
La Cour de cassation accueille ses arguments en jugeant que « l’exigence
d’un procès équitable implique qu’en matière disciplinaire la personne
poursuivie ou son avocat soit entendu à l’audience et puisse avoir la parole en
dernier, et que mention en soit faite dans la décision ». Si l’ordre d’audition
des parties a pu susciter quelques hésitations (v. Civ. 1re, 9 juill. 1996), l’arrêt du 16 mai 2012 apporte ici une
solution claire et sans équivoque : la personne poursuivie doit par principe
être entendue en dernier, qu’elle ait ou non revendiqué ce droit devant la haute
juridiction et qu’il existe ou non des dispositions spéciales en la matière
(déjà : Civ. 1re, 25 févr. 2010).
Cette application des règles du procès équitable en matière
disciplinaire n’est pas surprenante dans la mesure où la mesure où la Cour
européenne des droits de l’homme retient une conception très large du « procès »
et juge, depuis l’arrêt Le compte Van Leuven et De Meyer c.
Belgique du 23 juin 1981 qu’ « une procédure disciplinaire, à l’issue de
laquelle le droit de continuer une profession est mis en jeu, entre dans le
champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention ».
Pourtant, la transposition des principes du procès équitable à ce type de
procédure ne va pas de soi. En effet, le droit disciplinaire s’applique aux
membres d’un même groupe pour réprimer, par des sanctions préalablement
déterminées, des manquements à la discipline. Il s’agit donc d’une
réglementation autonome, en quelque sorte privée, nécessairement spécifique et
circonstanciée. Ainsi, la Cour de cassation n’applique pas l’article 6
§ 1er Conv. EDH à toutes les procédures disciplinaires. Elle refuse,
par exemple, l’application des règles du procès équitable à l’organe
disciplinaire d’un établissement d’enseignement privé et juge donc que la
décision d’exclusion d’un élève de cet établissement ne porte pas un trouble
manifestement illicite aux principes du droit disciplinaire (Civ. 1re, 11 mars 2010).
Le droit disciplinaire renvoyant à un modèle procédural autonome empêche
une transposition pure et simple des règles du procès équitable. L’arrêt
commenté l’illustre parfaitement : le requérant tente d’invoquer la violation du
principe non bis in idem (en effet,
il affirme avoir déjà fait l’objet de sanction disciplinaire pour les mêmes
faits). , En vain : son argument est rejeté par la Cour, laquelle se livre
davantage à une appréciation d’ensemble de la procédure qu’à une vérification
méticuleuse de chaque composante du procès équitable. Ceci, permet à la Cour
d’éviter l’écueil qui la guette à savoir un excès de formalisme, que regrettait
Jean-Paul Costa dans une opinion dissidente à l’occasion d’une affaire similaire
(CEDH 18 févr. 2010, Baccichetti c. France). Un tel
excès, en dépit de la pertinence de principe d’une solution respectueuse à tous
crins des règles du procès équitable, pourrait compromettre l’efficacité des
procédures disciplinaires et nier leur spécificité.
Civ.
1re, 16 mai 2012, n° 11-17.683, FS - P+B+I
Références
« 1. Toute personne a droit à ce que sa
cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable,
par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit
des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du
bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le
jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut
être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du
procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité
nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la
protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure
jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances
spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la
justice.
2. Toute personne accusée d’une
infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été
légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court
délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature
et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités
nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir
l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de
rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat
d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les
témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à
décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d’un
interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à
l’audience. »
■ Civ.
1re, 9 juill. 1996, Bull. civ. I, n° 301.
■ Civ.
1re, 25 févr. 2010, n°09-11.180.
■ Civ.
1re, 11 mars 2010 n°09-12.453.
■ CEDH
18 févr. 2010, Baccichetti c.
France, n°22584/06.
Auteur : C. d. B.
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