Éric de Montgolfier : "Rien ne justifie qu’on abandonne les enfants à la maltraitance"
avril 14, 2014 par lagazettedeputeaux |
Éric de Montgolfier : "Rien ne justifie qu’on abandonne les enfants à la maltraitance"Lors de son discours de politique générale, Manuel Valls a fait allusion à l’intérêt de l’enfant. Une question de la plus haute importance.
Par Éric de Montgolfier
Parfois, les parlementaires aiment à se gargariser de termes qui les flattent. La "représentation nationale" en fait partie, qui confère une certaine majesté à l’exercice qui leur est confié collectivement, celui de légiférer, certes, mais aussi de contrôler l’exécutif. À ce titre, chacun doit jouer son rôle démocratique, l’opposition le sien, à condition de ne pas s’y figer. Il serait fâcheux qu’elle se taise, d’autant plus que la majorité semble bien conciliante à l’égard du prince depuis l’avènement d’un régime quasi présidentiel.
Mais l’expression des idées paraît trop souvent laisser la place au tohu-bohu dans lequel elles se noient, l’irritation l’emportant sur la réflexion. Alors, le Parlement semble ne plus être qu’un parloir. L’exemple nous en fut tristement donné naguère, lors de la présentation du programme de politique générale du nouveau gouvernement. Il engage notre avenir. C’est le moins que ceux que nous en avons collectivement chargés prennent le temps d’écouter avant de réagir.
Se peut-il que l’intolérance fasse ainsi pièce à l’intelligence, la réduisant à des cris, des injures parfois ? Un tel spectacle pourrait le laisser croire ; il est de nature à détourner plus encore une part de notre peuple de ce qui se fait en son nom. Entre béatitude et rejet systématiques, il y a sans doute de la place, celle qui revient précisément au Parlement. La lassitude ne peut que gagner l’électeur qui, sa préférence affirmée, attend de l’élu, devenu celui de la nation, qu’il prenne position au regard des seules exigences de l’intérêt général. Elles ne passent pas nécessairement par les avantages qu’en attend son parti. À cet égard, les imprécations qui ont accompagné le discours du Premier ministre ont pu laisser penser qu’elles trouvaient principalement leur source dans la soif d’un pouvoir qui paraissait désormais à portée. Alors, la critique ne pouvait qu’être sourde.
Rassurer sur les modes de procréation
Certes, le discours était, comme souvent, riche de propos convenus, de vérités premières et de pistes dont il restait à définir les contours. Pourtant, certains propos méritaient l’attention. Quand, par exemple, le chef du gouvernement évoqua l’intérêt de l’enfant. Si brève qu’ait été l’allusion, elle ne pouvait pourtant passer inaperçue. Rapportée à la famille dont la composition soulève encore bien des passions, elle avait sans doute pour objectif de rassurer sur les modes de procréation que la science donne à redouter pour les uns, à espérer pour d’autres. L’indication m’a paru claire de ce que rien n’adviendrait qui ne réponde d’abord à l’intérêt de l’enfant. Toutefois, s’agissant de celui qui est à naître, bien des interprétations sont possibles et le principe est loin de régler la question. Au moins pour l’enfant déjà né, son intérêt est évident quand il s’agit de lui conserver la vie.Naturellement privé des moyens de se protéger lui-même, fragilité qu’il partage avec certains adultes, l’enfant, comme ceux-ci, doit bénéficier d’une protection particulière contre les abus dont il pourrait souffrir dans sa chair comme dans son esprit. On ne peut ignorer que son état le rend particulièrement vulnérable aux sévices, violences morales, physiques et sexuelles auxquels l’exposent son absence de carapace autant que la malignité de la nature humaine. Il n’est pas de société évoluée qui ne doive impérativement établir un système propre à débusquer ce dont l’enfant pourrait se plaindre s’il en avait la capacité. Cela vaut évidemment pour les plus jeunes, dès la naissance parfois, mais aussi quand, plus tard, la maltraitance se développe au sein de la famille ou ce qui en tient lieu, quand celui ou celle qui exerce une autorité légitime ou déléguée sur l’enfant en abuse à son détriment. À défaut de pouvoir en préserver absolument l’enfant, il convient au moins d’éviter que de tels actes ne se perpétuent. Aussi convient-il que les tiers, dès qu’ils ont pu en constater les conséquences, puissent librement provoquer l’intervention des autorités publiques.
Le rôle du corps médical est donc primordial. Pour le faciliter et lui permettre d’informer légalement le procureur de la République des soupçons que fait naître l’état, moral ou physique, d’un enfant, la loi lève le secret professionnel qui interdirait à un médecin de divulguer ses constatations à ce magistrat. Étonnamment, beaucoup, dont nombre de parlementaires, en déduisent une obligation pour le praticien de procéder à un signalement qui permettrait à l’autorité judiciaire, ainsi informée, d’intervenir en faveur de l’enfant. Tel n’est pas le cas. Il ne s’agit que d’une faculté laissée à la discrétion du médecin. Ce n’est que s’il le juge opportun qu’il pourra saisir le parquet sans qu’on puisse légalement lui reprocher de s’être affranchi du secret qui le lie dans l’exercice de sa profession. Une obligation ? Non, une simple permission. On voit comme le système est poreux, n’assurant qu’imparfaitement l’objectif qui lui est assigné.
Cette nation a besoin de réformes
Il est également dangereux car, faute d’obligation, il expose le praticien qui choisit de signaler le danger couru par l’enfant à subir la vindicte de celui qu’il met indirectement en cause. Il se peut aussi que le conseil de l’ordre dont il dépend lui demande compte de son signalement d’un point de vue déontologique, ce qui est pour le moins paradoxal, sauf quand le médecin concerné a usé de mauvaise foi de la permission donnée par la loi dans le seul intérêt de l’enfant maltraité. Une saine conception de la politique pourrait conduire le Parlement à se pencher sur cette question, se rassemblant enfin pour déterminer si l’enjeu ne justifierait pas une modification législative contraignant tous ceux qui sont soumis au secret médical à s’y soustraire lorsque des constatations objectives font, sans équivoque, soupçonner un acte de maltraitance. En corollaire, il devrait être envisagé d’exonérer de toute responsabilité, pénale, civile ou disciplinaire, celui ou celle qui, de bonne foi, se serait conformé à cette obligation. Peut-être conviendrait-il d’ailleurs de l’étendre en faveur de tous ceux que leur état, psychique ou physique, rend vulnérables à de semblables abus. Le sujet mérite qu’on y songe.Tel le dieu Vishnou, la politique a ses avatars. Le bruit et la fureur paraissent en faire partie. Mais ce ne peut être l’essentiel tant cette nation a besoin de réformes. Souvent, elles semblent devoir s’articuler autour de la protection des plus démunis, de ceux que l’existence a malmenés. Il sera toujours aisé de soutenir qu’il leur appartenait de la rendre moins injuste. Propos de salon, tenus par ceux que rien n’expose à la violence sociale ou qui peuvent aisément s’en garder. Au moins les enfants peuvent-ils prétendre échapper à la caricature, comme ceux que l’âge ou la maladie en préserve. Rien ne justifiera jamais qu’on les abandonne à la maltraitance quand il est des remèdes pour la raréfier. Tous les combats ne sauraient se valoir. Celui-ci serait honorable, sans doute davantage que d’autres qui peuvent peut-être distraire, mais pas plus.
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